L'adoption du fret ferroviaire : freins et perspectives. Étude de cas de la France et de l’Espagne

DOI : 10.56078/cahier-du-crini.145

Résumés

Afin d’étudier la façon dont le transport de marchandises par rail pourrait parvenir à se développer davantage, nous avons décidé de circonscrire notre étude en la fondant sur la France et l’Espagne. Nous étudierons, à partir de la méthode de l’étude de cas, comment le développement des corridors de fret présents sur leurs territoires peut contribuer à transformer ces deux pays en acteurs stratégiques, pour le développement du fret ferroviaire, aux portes d’entrées de l’Europe. Ensuite, afin de comprendre quels sont les acteurs qui peuvent proposer une offre ferroviaire pour le fret et la nature des freins existants relative au développement du transport de fret, nous expliciterons deux méthodes : celle proposée par Kholadad & Baron (2020) et la seconde proposée par Houanti, L., & Oruezabala, G. (2018). Enfin, en guise d’ouverture, nous présenterons la méthode FsQCA qui permettra de découvrir de nouveaux paramètres pour identifier des leviers de développement du fret ferroviaire.

In order to investigate how rail freight could develop more, we have decided to limit our study to France and Spain. Using the case study method, we will study how the development of the corridors in their territories can contribute to transforming these two countries into strategic actors for the development of rail freight at the gateways of Europe. Then, in order to understand the factors that determine a rail freight offer and the nature of the existing brakes on the development of freight transport, we will look into two methods: one developed by Kholadad & Baron (2020) and the second one defined by Houanti, L., & Oruezabala, G. (2018). Finally, in an attempt to open up the perspective we will present the FsQCA method which will allow us to discover new parameters to determine levers for the development of rail freight.

Plan

Texte

Depuis toujours, les industriels, les transporteurs et les acteurs de la supply chain ont tenté de massifier les flux commerciaux avec des routes bien identifiées, comme les routes de la Soie. Le principe étant qu’il est plus aisé de transporter de grandes quantités en une fois, que de petites quantités nécessitant plus de ressources. C’est ainsi que sont apparus les corridors logistiques qui ont permis d’optimiser les moyens pour faciliter les échanges de marchandises. Aujourd’hui, la route de la soie est toujours d’actualité, que ce soit une route terrestre ou maritime avec le développement d’un réseau ferré partant de Madrid et traversant tout le continent européen pour arriver jusqu’à la façade pacifique de l’Asie. Ces routes supposent des infrastructures de transport et de télécommunication et un allégement des formalités douanières. Ainsi que le souligne le rapport du Forum économique de 2013, le développement de ces corridors « peut déboucher sur une augmentation de 4,7 % du PIB mondial et de 14,5 % du commerce mondial. »

Comme nous pouvons le constater, les ingrédients sont réunis pour faciliter le transport ferroviaire de marchandises. Qu’en est-il concrètement ?

1.  Bilan de l’activité du transport de marchandises

Globalement, le transport ferroviaire est soutenu par l’Union Européenne depuis 1993, année durant laquelle furent rédigées les grandes orientations du développement du transport ferroviaire. Les États ont alors mis en place différentes stratégies de développement.

Illustration 1 : Evolution du fret ferroviaire européen depuis 2003 (selon Eurostat)

Illustration 1 : Evolution du fret ferroviaire européen depuis 2003 (selon Eurostat)

En partant d’un coefficient 100 en 2003, ce graphique indique l’évolution du transport ferroviaire de fret dans les principaux pays européens. Ces courbes montrent que seules l’Allemagne, l’Autriche et la Suède ont connu une augmentation du volume, les autres pays ont subi à contrario une diminution. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des pays européens a vécu une baisse significative du fret lors de la crise de 2008.

Nous avons décidé d’étudier deux pays en particulier : la France et l’Espagne. Ces deux pays connaissent une évolution du fret convergente malgré deux stratégies différentes, voire opposées : alors qu’en France une politique de fermeture des voies ferrées depuis les années 1930 est mise en œuvre, en Espagne la stratégie est le développement du réseau depuis les années 1970, afin de proposer un réseau compatible avec le reste de l’Europe. En effet, précisons que le réseau ferroviaire espagnol est caractérisé par ses écartements de voies multiples. Les lignes à grande vitesse circulent sur des voies à écartement standard (1m44), les trains de marchandises et régionaux empruntent des voies ibériques (écartement de 1m67) et les trains de certaines Communautés Autonomes fonctionnent sur des voies métriques. Nous commencerons par présenter un état des lieux du transport ferroviaire de marchandises en France puis en Espagne.

1.1.  Le transport ferroviaire en France

Actuellement, les préoccupations écologiques et environnementales sont au cœur de la stratégie de l’Union Européenne. Bien des pistes sont explorées pour travailler et développer toutes les filières qui permettent de diminuer l’empreinte humaine sur la planète, telles que l’exploitation des énergies renouvelables en vue de générer de l’électricité, ou encore l’adoption de texte visant à réduire l’achat de véhicules à énergie thermique selon la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, par exemple. En effet, le transport routier est encore très utilisé que ce soit pour le transport de marchandises ou de personnes ; selon l’INSEE, 87 % du transport de fret est assuré par le transport routier, comme le montre le graphique suivant.

Illustration 2 : Evolution du transport de fret

Illustration 2 : Evolution du transport de fret

Selon l’étude réalisée par le Ministère de la transition écologique en 2022, le taux de croissance annuel moyen global en tonnes-kilomètres, tous modes de transport confondus, en 2020 et 2021, est en augmentation et concerne principalement le transport international. Le transport intérieur de marchandises est encore très largement dominé par le transport routier : en 2019, le transport routier de marchandises atteint 322,4 milliards de tonnes-kilomètres alors que le transport ferroviaire ne représente que 32,6 milliards de tonnes-kilomètres. Toutefois, l’activité du fret ferroviaire en 2020 a progressé de 1,7 %, malgré les mouvements sociaux à la SNCF. Cette croissance concerne le transport national. Il ne faut pas oublier que la libéralisation du transport ferroviaire a permis à 28 opérateurs de s’installer en France comme par exemple CFL Cargo, Euro Cargo Rail et Eiffage Rail Service. Ces opérateurs sont relativement actifs car ils assurent 47 % du transport.

Dans le contexte du transport international où le transport routier joue encore un rôle majeur, les externalités négatives inhérentes à ce mode sont multiples : encombrement du réseau routier, pollution par les émissions de gaz, entre autres. Selon la Cour des comptes européenne en 2016, le transport routier est responsable en grande partie de la pollution en termes d’émissions de CO2.

1.2.  Le transport ferroviaire en Espagne

Ce travail s’appuie sur nos travaux antérieurs, en particulier sur notre article de 2021 « ¿Cómo puede el transporte ferroviario de mercancías en España convertirse en una alternativa factible para el año 2026 ? », que nous citerons à diverses reprises. Notre objectif est de proposer des données actualisées qui tiennent notamment compte des impacts, en Espagne, des crises du COVID et du conflit russo-ukrainien.

Commençons par comprendre les origines du transport ferroviaire espagnol qui traduisent sa singularité aujourd’hui au XXIe siècle. Les premiers trains espagnols ont contribué, dès 1857, à la croissance des centres urbains ainsi qu'à l’essor de la construction résidentielle (Gómez, Mendoza y Rodrigo Luna, 1986). Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le rail a facilité l’urbanisation du territoire en offrant des capacités de transport plus importantes des aliments et du matériel de construction (Comín, 1999 : 258). Il a également résolu divers problèmes de transport récurrents, dans un pays marqué par de longues distances qui séparaient la population de ses produits de subsistance. Au XIXe siècle, ce mode de transport, rapide, régulier et confortable avec des prix plus accessibles, apparaît comme une bonne alternative. Pour autant, contrairement à d’autres pays européens, le train n'a pas su agir comme levier de la révolution industrielle en Espagne (Nadal, Catalan, 1994). En effet, les progressistes espagnols de 1855 souhaitaient que cette infrastructure soit construite rapidement et tout fut orchestré pour compenser un système de transport traditionnel et déficient. Afin d’atteindre cet objectif, les progressistes ont cédé la gestion du réseau ferroviaire et la prise de décision inhérente à cette action, à des compagnies étrangères. Ces dernières ont alors davantage favorisé l’importation de produits étrangers plus économiques et de meilleure qualité au détriment des produits locaux espagnols. Ils ont en effet choisi une méthode qui avait fait ses preuves en Europe. Cette décision politique a alors conduit les industriels espagnols de la sidérurgie à renoncer à leurs propres intérêts (Comín, 1999 : 266).

Depuis 1941, l’histoire du transport ferroviaire espagnol est guidée par l’activité de la RENFE, une entreprise nationalisée créée pour assumer la gestion des lignes espagnoles à écartement de voies ibérique. Précisons que plusieurs facteurs ont rendu difficile la construction de lignes ferroviaires en Espagne. Pour commencer, la situation géographique de la péninsule ibérique l'a contrainte à une forme d'isolement naturel vis-à-vis de ses pays voisins. Deuxièmement, l'orographie du pays a toujours compliqué le tracé du réseau ferroviaire. Troisièmement, les distances entre les villes d’Espagne sont nettement supérieures à celles qui existent pour d’autres villes européennes et, le plus souvent, les métropoles espagnoles sont séparées par d’immenses territoires inhabités. La conception d'un réseau ferroviaire optimal et efficace s'est donc avérée, depuis toujours, particulièrement difficile (Tortella Casares, 1999 : 253).

Il convient cependant de préciser que la situation déficiente du transport ferroviaire puise ses racines dans des décisions politiques prises dans les années 1960. Le recours aisé au transport routier de marchandises et le nombre réduit de grands pôles économiques et urbains espagnols constituent deux facteurs clés qui ont généré un processus de régionalisation de l’activité industrielle du pays. Ils ont favorisé la prolifération de multiples petites entreprises avec une clientèle dite locale (Chinitz, 1960). Ce phénomène a alors conféré un avantage majeur au transport routier de marchandises (De la Dehesa, 1995). La majorité du tissu industriel espagnol a opéré avec des marchés locaux ou régionaux jusque dans les années 1990. Cette configuration industrielle a mis fin au développement potentiel du rail en Espagne. N’oublions pas que le transport par train se nourrissait de produits provenant des secteurs primaire et secondaire principalement. Le secteur primaire a joué un rôle moindre dans l’économie du pays et les produits du secteur secondaire ont peu à peu été remplacés par des marchandises plus légères, moins volumineuses avec une valeur ajoutée accrue nécessitant alors d’autres formes de transport. Dans les années 1990, et bien que les flux de marchandises de moyennes et longues distances aient augmenté de façon considérable, les traditionnelles carences de l’infrastructure ferroviaire perduraient (Hernández Muñiz, 1999 : 375). Pour de nombreuses entreprises, éloignées des centres urbains, exportant vers l’Europe, l’Asie et les États-Unis, le transport ferroviaire supposait des coûts additionnels inhérents aux chargements et aux ruptures de charge de ce mode.

En parallèle, le Ministerio de Fomento, qui regroupe actuellement le développement économique et la gestion de la transition économique, conduit quelques plans très prometteurs, comme le Plan Directeur des Infrastructures (PDI, 1993-2007), le Plan Stratégique du Transport et des Infrastructures (PEIT, 2004-2020) et plus récemment, le Plan des Infrastructures de Transport et du Logement (PITVI, 2012-2024). Ces plans ont permis de tisser un maillage dense et efficace du réseau terrestre routier mettant l'accent sur des solutions intermodales (Fauchard, 2016 : 125). Jusqu’en 2012, le réseau routier a donc agi comme l’un des piliers de la croissance économique de l’Espagne. Le Ministerio de Fomento s'est fondé sur des motifs logistiques, économiques et sociaux lorsqu'il a orienté ses investissements vers le réseau routier au détriment du rail. La polyvalence du transport routier alliée à sa flexibilité pour assurer un service de porte à porte, tout en limitant les ruptures de charge, rendaient ce mode plus attractif que le rail pour les chargeurs (Serrano Martínez, 2012 : 208). De surcroît, l'Espagne connaissait une croissance significative de son parc automobile, ce dernier passant de 10,2 millions de véhicules de tourisme en 1980 à plus de 31 millions en 2010. Durant cette même période, la croissance des véhicules poids lourds fut également multipliée par quatre. Le Ministerio de Fomento a alors privilégié la construction de nouvelles autoroutes sans péage sur tout le territoire national, ce qui a naturellement amplifié l'usage du transport routier (Fauchard, 2016 : 115). Le choix de cette stratégie s’est opéré indépendamment des coûts environnementaux élevés induits.

Deux facteurs supplémentaires expliquent le déclin du transport ferroviaire de marchandises en Espagne. Les différents plans ont favorisé une croissance continue des lignes à grande vitesse au détriment du transport ferroviaire de marchandises. Avec un réseau ferroviaire de lignes à grande vitesse de plus de 3.200 kilomètres en 2019, l’Espagne possède le second réseau ferroviaire le plus étendu du monde après la Chine (Gaudiot, 2020). Deuxièmement, l'écartement des voies différent en Espagne pour le transport ferroviaire de marchandises a pénalisé les échanges internationaux par train jusqu’en 2016. En effet, cet écartement ibérique a supposé un transbordement systématique à la frontière franco-espagnole, ce qui induit une perte de temps défavorable à ce mode de transport.

2.  État actuel des lieux (focus Europe et France/Espagne)

En 30 ans, le fret ferroviaire européen a vu ses parts de marché passer de 21 % à moins de 10 %. Malgré cet état de fait, l’Union Européenne se préoccupe de cette situation depuis de nombreuses années et tente de mettre en place des mesures pour favoriser le transport ferroviaire :

  • Le premier livre blanc publié par la Commission européenne en décembre 1993 précise les grandes orientations de développement en définissant 30 axes prioritaires, dont 22 concernent le transport ferroviaire.

  • Le deuxième livre blanc publié en janvier 2002 avait pour objectif d’ouvrir 50 000 km de réseau ferré ouvert à la libre concurrence de la traction de fret pour le 15 mars 2003.

En 2006, l’agence ferroviaire européenne ERA, basée à Valenciennes, est ouverte. Ses premiers travaux concernent les Technical Specifications for Interoperability (TSI) et une harmonisation des systèmes de sécurité ferroviaire.

Les premiers résultats de ces mesures montrent que :

  • En 2009, il n’y a qu’environ 50 % des trains complets internationaux de fret qui arrivent dans les délais prévus.

  • La vitesse moyenne de transport international de fret est évaluée à 18 km/h.

  • Les principales difficultés concernent l’interopérabilité entre les transports routiers et ferroviaires : elle ne serait opérationnelle qu’à l’horizon 2025 si les mesures prises suivent leur cours.

Selon les travaux d’Arda & Nondonfaz, (2009), le transport de fret constitue un vecteur de transport idéal pour les distances continentales supérieures à 500 kilomètres aussi bien du point de vue économique qu’écologique. Les auteurs indiquent aussi, déjà en 2009, que le développement du transport ferroviaire ne pourra se faire que si les institutions européennes prennent des décisions fondamentales.

Voici quelques chiffres importants pour la France et l’Espagne.

Tableau 1 : Comparatif entre la France et l'Espagne (selon Khodadad & Baron et de la Commission nationale espagnole des marchés et de la concurrence)

Pays

France

Espagne

Nombre d’acteurs

22 entreprises

10 entreprises

Etat du marché

Une domination du marché par l’opérateur historique : SNCF Geodis

6,87 M€ de CA en 2014,

8,3 M€ en 2020

69 % du trafic est assuré par la SNCF

Une domination du marché par l’opérateur historique : RENFE Mercancías

233,6 M€ en 2015,

158,4 M€ en 2020

68 % du trafic est assuré par RENFE

Récapitulons :

Une volonté politique européenne existe pour le développement de corridors logistiques et donc du transport ferroviaire. Des mesures sont en cours et ont abouti à :

  • Une libéralisation du marché du fret ferroviaire depuis 2007

  • Une volonté d’harmonisation sur les infrastructures (écartement des voies)

  • Une prise de conscience écologique par rapport aux efforts à fournir pour utiliser des moyens de transports plus respectueux de l’environnement

  • Un marché frémissant : observation d’une tendance positive depuis quelques années.

Par conséquent, comment développer le transport ferroviaire ? Qui sont les acteurs qui peuvent proposer une offre ferroviaire pour le fret ? Quels sont les freins ?

3. Focus économique : leviers pour faire évoluer le fret vers une solution ferroviaire

Le transport ferroviaire fait aujourd’hui l’objet d’une attention particulière par les instances politiques et les acteurs logistiques. Il est considéré comme une alternative crédible au transport routier, très polluant. Selon les travaux d’Arda & Nondonfaz, le transport de fret est un vecteur de transport idéal pour les distances continentales aussi bien du point de vue économique qu’écologique, comme indiqué précédemment. Les auteurs précisent aussi, déjà en 2009, que le développement du transport ferroviaire ne pourra se faire que si les institutions européennes prennent des décisions fondamentales. Pour autant, nous devons constater l’ambivalence de ce mode de transport aujourd’hui en 2023. Nous proposons d’expliciter deux méthodes qui confirment cette ambivalence.

  • Khodad & Baron (2020) : identification des déterminants de choix de transports massifiés.

  • L'Hocine, H., & Oruezabala, G. (2018) : identification des difficultés à intégrer le transport ferroviaire grâce à la théorie de l’activité selon Engeström (1999).

Ces auteurs ont mis en évidence les aspects négatifs et positifs suivants du fret ferroviaire.

Tableau 2 : Bilan de points positifs et négatifs de l’utilisation du transport ferroviaire

La perception négative du fret ferroviaire est souvent due au(x)/à la…

Les points favorables à l’utilisation du transport ferroviaire tiennent dans…

Grèves : juin 2014, blocage des trains pendant plus d’une semaine et un lent retour à la normale (plusieurs jours).

Système de priorisation : les transports de passagers sont prioritaires sur les transports de fret en journée.

Coûts : les tarifs de la SNCF ont augmenté de 400 % en 10 ans. La décomposition des coûts est perçue comme étant opaque.

Qualité : la France accuse un retard de 10 ans face à l’Allemagne au niveau de la qualité de prestation offerte selon L'Hocine, H., & Oruezabala, G.

Vétusté des infrastructures et du matériel : des wagons vieillissants, des fermetures de gares de fret et le déclassement de centaines de km de lignes

La massification des flux : un flux de 10 000 tonnes par an ou de deux ou trois camions par semaine justifie l’usage du rail (sur une distance supérieure à 500 km).

La sécurité : les chargeurs estiment que la marchandise est moins soumise aux risques d’incidents ou d’avaries.

Les stocks roulants : les marchandises placées dans des wagons non roulants ne constituent pas une charge, la SNCF ne fait pas payer le stationnement des wagons remplis.

La stabilité des prix : pour des expéditions sur de longues distances, les prix ne subissent pas de variations contrairement au transport routier.

Le taux de service : malgré tout, la prestation de service est toujours respectée dès lors que les incidents sont absents.

En conclusion, les leviers d’action identifiés pour une logistique durable seraient la fiabilité, l’efficience, la réactivité et l’écologistique, selon Jouenne (2010) et Akono & Fernandès (2009).

Dans ce contexte, l’Espagne finance de vastes programmes ferroviaires fondés sur un écartement de voie européen ou sur une alternative qui vise à ajouter un troisième rail à la voie à écartement ibérique, permettant ainsi l'accès des trains de fret internationaux, en rétrécissant la voie. Découvrons plus concrètement, comment des perspectives conséquentes de croissance du fret en Espagne sont à attendre à l’horizon 2026.

4.  Le transport ferroviaire de marchandises en Espagne : des voies de développement rentables et durables

Nous nous sommes appuyées sur la méthode de l’étude de cas, une approche pertinente empruntée aux Sciences de Gestion, afin de démontrer le potentiel de développement du transport ferroviaire de marchandises en Espagne, à partir d’entretiens semi-directifs menés avec des experts logistiques français et espagnols impliqués dans la création ou l'exploitation de ces infrastructures. Ce travail fondé sur une approche qualitative nous a permis de dégager quatre solutions bénéfiques pour des entreprises espagnoles et des chargeurs internationaux, ces derniers optant pour des ports espagnols comme porte d’entrée en Europe afin de distribuer rapidement leurs produits dans toutes les grandes métropoles européennes.

Étude de cas n° 1 : Yiwu-Madrid, le train de la soie le plus long du monde

Illustration 3 : Yiwu-Madrid, le train de la soie le plus long du monde : deux options espagnoles

Illustration 3 : Yiwu-Madrid, le train de la soie le plus long du monde : deux options espagnoles

Source : DHL GF 2020

Le projet de cette ligne a commencé en décembre 2014, connectant Madrid avec la ville d'Yiwu, lorsque le tout premier train de marchandises est arrivé au terminal logistique ferroviaire d'Abroñigal à Madrid, le 9 décembre. Cet itinéraire fut approuvé par le président chinois Xi Jinping et l'ex-président du gouvernement espagnol Mariano Rajoy. Il s'intègre dans un projet plus global nommé « la nouvelle route de la soie », ou « One Belt, One Road » OBOR, soit « One Belt » pour le réseau terrestre et/ou ferroviaire, « One Road » pour le réseau maritime.

Depuis 2017, le terme international le plus usité est « Belt and Road Initiative » autrement dit BRI (Vadelle, 2018 : 50). Ce train réalise un trajet de 13 052 km et traverse huit pays : la Chine, le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie, la Pologne, l’Allemagne, la France et l’Espagne. Cette offre de transport est cependant altérée depuis le conflit qui a éclaté fin février 2022 entre l’Ukraine et la Russie. Les volumes de fret eurasiatiques ont chuté de 80 % suite aux sanctions internationales contre la Russie et aux risques de confiscations des marchandises (Michel Larçon, 2022). En 2020, le temps d’acheminement était de 21 à 23 jours, comme le précise le transitaire DHL qui utilisait cette solution pour ses clients espagnols. Cette solution de transport ferroviaire suppose toutefois une opération de transbordement à la frontière franco-espagnole, car le trafic, côté espagnol, s'opère sur une voie à écartement ibérique.

Étude de cas n° 2 : la ligne multimodale Saragosse-Barcelone-Duisburg

Le transitaire de DHL explique également qu’actuellement il existe une autre option attractive pour ses chargeurs : la connexion ferroviaire Saragosse-Barcelone-Duisburg décrite par l’illustration 4 ci-dessous.

Illustration 4 – Transport multimodal Ligne Saragosse-Barcelone-Duisburg - EP

Illustration 4 – Transport multimodal Ligne Saragosse-Barcelone-Duisburg - EP

Un prestataire ferroviaire néerlandais nommé Rail Bridge Cargo propose une ligne reliant Duisburg en Allemagne et Zhengzhou en Chine, et qui traverse le Kazakhstan, l’Azerbaïdjan puis le Géorgie en 25 jours. L’Espagne exporte principalement du vin, de l’huile et du matériel de construction. Chaque train transporte 40 conteneurs, soit plus de 100 fois moins qu’un navire. L’alternative aérienne, de son côté, serait six fois plus coûteuse que l’option ferroviaire. Le transport ferroviaire représente, ainsi, un compromis équilibré entre le faible coût du transport maritime et la rapidité du transport aérien.

Le train constitue une véritable alternative face au transport maritime. L’accès saturé des ports chinois augmente, en effet, le temps de transport des marchandises et des conteneurs (jusqu’à 10 jours en Chine). À cela s'ajoutent les formalités douanières, les opérations de manutention sur le terminal et le chargement des navires. Selon les destinations, le voyage peut atteindre entre 25 et 35 jours lors d’une période non affectée par la crise sanitaire du covid-19. Il convient de rappeler également la pratique du slow streaming, qui consiste en une réduction de la vitesse des navires – entreprise par les compagnies maritimes – afin de limiter la consommation de carburant. Dans ce contexte, les entreprises du secteur impliquées dans le projet de la route de la soie œuvrent pour introduire un canal vert, explique Wanxu Dong, directeur général de l’entreprise Beijing Trans Eurasia International (BTE), spécialisée dans le transport ferroviaire intermodal. Ce canal permet aux entreprises d’optimiser la gestion de leurs formalités douanières en utilisant de plus en plus des lettres de voiture1 électroniques. La lettre de voiture digitalisée permet, par exemple, de remonter en temps réel des données de livraison, ce qui améliore l’offre de service client. La facturation est accélérée, ce qui génère alors des gains de trésorerie. Enfin, elle améliore son empreinte écologique.

Étude de cas n° 3 : LFP Perthus Ligne Figueras-Perpignan, catalyseur de fret

Cette ligne est également connue sous le nom de Section Internationale au sens de la Directive 2001/14/CE. Les entretiens semi-directifs menés en octobre 2020 puis janvier 2023, avec l’expert Petros Papaghiannakis, directeur général de la ligne ferroviaire LFP ont permis de comprendre les caractéristiques du service proposé et la contribution de cette ligne au développement de flux de marchandises à échéance 2026. LFP est une entreprise dédiée à l’exploitation et à l’entretien de la ligne ferroviaire à grande vitesse Figueras-Perpignan qui emprunte le tunnel du Perthus. C’est une société de droit privé, composée de deux actionnaires (ADIF et SNCF réseau) depuis décembre 2016. LFP se situe au cœur du corridor méditerranéen et du corridor Fret n° 6, présents sur la façade méditerranéenne de l’Espagne.

Illustration 5 – Ligne ferroviaire LFP Figueras -Perpignan – EP

Illustration 5 – Ligne ferroviaire LFP Figueras -Perpignan – EP

L’illustration n° 5 indique le tracé de cette ligne. Sa première valeur ajoutée repose sur sa capacité à relier le réseau espagnol, le réseau français et les autres pays européens. Concrètement, cette connexion s’effectue sans rupture de charge et sans arrêt des trains à la frontière franco-espagnole. En effet, les fréquents problèmes liés aux écartements de voies, différents entre ces deux pays, ont disparu progressivement depuis l’année 2016. Le second atout de cette ligne est lié à sa nature. "De type mixte, elle permet la circulation simultanée de trains à grande vitesse (300 km/h), de trains régionaux (entre 160 km/h et 220 km/h) et de trains de marchandises (entre 100 km/h et 120 km/h). Ils se croisent sans aucune restriction", précise le directeur général de LFP. La présence de plusieurs faisceaux au sud de Figueras favorise la fluidité de circulation de trains aux vitesses si différentes. Grâce au système d'exploitation ERTMS, l'interopérabilité entre les réseaux est facilitée. Cet outil réduit les risques de retards des trains, en aiguillant les convois confrontés à d'éventuels problèmes techniques vers des voies contiguës. Le système ERTMS contribue ainsi à fiabiliser les horaires, aspect fondamental pour des chargeurs qui souhaitent opter pour cette solution de transport. De plus, le gabarit de cette infrastructure permet d’accueillir tout type de trains de marchandises, y compris ceux des autoroutes ferroviaires qui relient Barcelone à l’Europe. Cette ligne peut accueillir 100 trains par jour.

Le directeur général de LFP précise « que même s’il n’y a pas le moindre doute sur le potentiel de développement qu’offre la ligne LFP, elle a dû toutefois faire face à quelques défis ». Nous en soulignons quatre. Tout d’abord, les tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis, le ralentissement de l’économie, le Brexit et, plus récemment, le coronavirus ont altéré de façon significative le commerce mondial et ont donc entraîné une adaptation des infrastructures de transport. Le conflit russo-ukrainien a pour l’instant un impact plus réduit. Mais si les coûts de l’énergie poursuivent leur hausse, cela pourrait conduire à des fermetures de lignes. À ces éléments, il convient d’ajouter une faiblesse structurelle propre à l’Espagne : le déficit d’infrastructures de transport le long de la façade méditerranéenne espagnole. Techniquement, le train qui arrive actuellement de Perpignan circule jusqu’au port de Barcelone sur un écartement de voie standard en Europe. Cependant, ce train ne peut pas circuler au-delà du port de Barcelone en direction du sud de l’Espagne. Il faut en effet prévoir des ruptures de charges. Les études récentes laissent penser qu’il faudra attendre jusqu’en 2026 pour obtenir un écartement international qui aille de Barcelone jusqu’à Castellón et Valencia. Enfin, la perspective de croissance du flux supposera également d’augmenter le nombre d’accès à écartement international sur le terminal ferroviaire du port de Barcelone. Actuellement, il n’existe qu’une seule voie pour charger les trains et une autre pour les décharger. Lorsque la ligne à écartement international sera effective jusqu'à Tarragona, cela générera une fréquence quotidienne de quatre trains. Ces différentes données transmises par le directeur de LFP indiquent que le fret devrait être multiplié par cinq d’ici l’année 2026.

Tableau 3 : Évolution du nombre de train de marchandises sur la ligne LFP de 2010 à 2022

Tableau 3 : Évolution du nombre de train de marchandises sur la ligne LFP de 2010 à 2022

Source : Données LFP, janvier 2023

Le tableau 3 montre qu’indépendamment des crises évoquées ci-dessus, le nombre de trains n’a cessé de croître sur la ligne LFP de 2019 à 2022 pour atteindre 1 864 trains par an. Il s’avère qu’ils sont également plus lourds et donc avec des chargements mieux optimisés.

Étude de cas n° 4 : première autoroute ferroviaire Barcelone-Bettembourg

Cette première autoroute ferroviaire d’Espagne a vu le jour en février 2019. Cette infrastructure favorise le transport des conteneurs en provenance du port de Barcelone. Elle se dirige ensuite vers la ville luxembourgeoise de Bettembourg. Cette ligne de 1 219 kilomètres est l’une des autoroutes ferroviaires les plus longues d’Europe. Elle transite par la ligne Figueras-Perpignan évoquée précédemment. Les opérateurs ferroviaires RENFE Mercancías et Viia (Opérateur d'autoroutes ferroviaires du groupe français SNCF ) assurent la circulation de 6 convois hebdomadaires aller-retour. RENFE Mercancías se charge de la traction jusqu’à la frontière française puis, à partir de celle-ci, la traction utilisée sur le tronçon français est prise en charge par Viia SNCF. Les trains quittent le terminal multimodal de Can Tunis à Barcelone et circulent jusqu’à Bettembourg au Luxembourg. Chaque train a une capacité de 1 500 tonnes. Huit wagons peuvent acheminer 16 semi-remorques auxquelles s’ajoutent des plates-formes pour conteneurs. Les remorques sont chargées sur le train sans tracteur, ni conducteur. Sur le terminal d’arrivée, un conducteur se présente avec un tracteur pour récupérer la remorque et termine le dernier trajet de courte distance. Cette solution de transport, qui dure 22 heures, s'avère sûre et fiable pour tous les importateurs et exportateurs. De plus, le temps d’expédition est relativement proche de celui effectué en transport routier. Cette solution ferroviaire permet aux chargeurs de massifier leurs flux et contribue à décarbonner leurs supply chains.

À travers ces quatre études de cas, il apparaît que des solutions techniques, pointant la pertinence du transport ferroviaire, constituent de réels leviers de développement. Dès que la construction de voies ferroviaires à écartement international sera finalisée sur les ports de Tarragone, de Castellón et de Valencia de la façade méditerranéenne, à priori d’ici 2026, le potentiel de trafic va considérablement s’accroître. Le logisticien allemand Cargobeamer, spécialisé dans le transport combiné, recherche un terrain pour installer un terminal et développer de nouvelles autoroutes ferroviaires au départ du port de Valencia. Stratégie qui traduit bien le potentiel de trafic à venir offert à partir de 2026 par ces ports espagnols de la Méditerranée présentés dans l’illustration n° 6.

Illustration 6 – les ports de Tarragone, de Castellón et de Valencia

Illustration 6 – les ports de Tarragone, de Castellón et de Valencia

5.  Comment construire une solution intégrant du transport ferroviaire ? Quels sont les freins ?

Khodadad & Baron en 2020 ont proposé une analyse des déterminants du choix des modes de transports dans le cas du transport ferroviaire. Nous allons donc nous intéresser à l’identification des contraintes imposées aux acteurs de la chaîne logistique ayant pour tâche la gestion des prestations de transports. Leur travail consiste à proposer des offres de transport en lien avec des contraintes imposées par leur client, telles que : le coût du transport, la fiabilité du délai de livraison, les temps de trajet, la fréquence et la flexibilité, etc. À la lecture de ces contraintes, qui constituent des déterminants de choix pour sélectionner une offre de transport, nous pouvons aisément identifier les freins à cette adoption : le coût, la flexibilité et la fiabilité. En dehors de ces aspects, le critère de l’empreinte carbone pourrait être un avantage susceptible de faire pencher la balance en faveur du transport ferroviaire. Le problème consisterait alors à comprendre pourquoi les prestataires logistiques ne choisissent pas cette option.

Khodadad & Baron en 2020 ont procédé par étape pour identifier les freins à l’adoption de ce mode de transport. En se basant sur les travaux de Hall & Khan et Gellamn en 1986 , il a été démontré que l’environnement institutionnel est très important dans l’adoption d'innovations. En effet, Gellamn a indiqué que « le développement du rail aux États-Unis a été freiné par des décisions fédérales supprimant les incitations à innover et à développer de nouveaux services ». Les auteurs se sont ensuite concentrés sur les modes de prise de décision adoptés aujourd’hui pour le choix d’un mode de transport plutôt qu’un autre. Pour la prise de décision, nous pouvons en identifier trois principaux, selon Rogers en 1995 :

  • La décision collective : décision qui est prise en accord avec l’ensemble des acteurs de la chaîne logistique ;

  • La décision optionnelle : décision prise par un individu singulier ;

  • La décision autoritaire : décision suite à la mise en place de dispositifs législatifs ou dans le cas qui nous occupe, une décision prise par le prestataire ou le dirigeant sans concertation.

Suite à l’enquête de Khodadad & Baron (2020) auprès de 50 prestataires logistiques, l’homogénéité des réponses obtenues a permis d’identifier les freins et les attentes des prestataires de services logistiques (PSL). Leurs résultats montrent les principaux freins pour l’adoption du transport de fret :

  • L’usage du transport ferroviaire est considéré comme trop complexe : les retards répétés et la lenteur de ce mode de déplacement trop souvent observés ;

  • Les clients de ces prestataires ne sont pas prêts à opter pour ce mode de transport.

En conclusion, ils indiquent que l’offre de transport ferroviaire de fret ne pourrait être étudiée que si les services en amont et en aval des transports sont étoffés, avec du post-acheminement, par exemple. De plus, si la perception pour l’utilisation de ce mode de transport n’est pas avantageuse, celle-ci ne pourra être modifiée que si :

  • Les institutions lancent des campagnes de revalorisation du transport ferroviaire ;

  • Les décisions prises par les PSL ne laissent pas trop de liberté aux clients quant à l’utilisation d'autres modes de transport, comme le routier, par exemple. L’idée serait de procéder à une prise de décision hybride entre la décision collective et autoritaire ;

  • L’opérateur historique change sa culture d’entreprise et considère le chargeur et le commissionnaire de transport comme des clients selon les conclusions de Houanti & Oruezabala (2018).

Par conséquent, on peut conclure que les freins ne sont pas à étudier ou à analyser les uns indépendamment des autres mais qu’il convient de comprendre les combinaisons de ces freins pour les traiter au mieux.

6.  Les pistes de solutions

Nous allons tout d’abord reprendre les éléments dans l’ordre : le développement du transport de fret ferroviaire connaît une certaine dynamique dans les deux pays étudiés : l’Espagne et la France. Toutefois ces deux pays n’ont pas adopté les mêmes stratégies, alors que l’un développe son réseau et ses infrastructures, le second ferme des lignes et peine à proposer des solutions innovantes.

Il est aussi important de comprendre comment se construit une offre de transport :

  • Selon Paché et Spalanzani en 2007, « un projet logistique correspond à une réalité faite d’affrontements d’acteurs et la création de valeur va au-delà du seul agencement d’outils » ;

  • Et lorsque nous parlons de construire une offre nouvelle, Fabbes-Costes (2007) identifie que la nécessité de « reconfiguration » des chaînes logistiques se base sur les besoins de flexibilité et d’adaptabilité des entreprises qui doivent régulièrement adapter leurs offres et leurs chaînes.

Nous comprenons dès lors que les acteurs comme les PSL et les industriels sont les deux parties les plus importantes à convaincre. Mais peuvent-elles l’être sans une véritable volonté politique dans l’accompagnement de développement d’infrastructures et d’utilisation de ces réseaux ? Étant donné l’ensemble de causes indépendantes à prendre en compte, nous proposons l’utilisation de la méthode Fuzzy-set Qualitative Comparative Analysis (ou FsQCA). C’est une méthode d'analyse comparative qualitative basée sur des ensembles flous, qui permet de comprendre les relations causales complexes dans les données nominales. Il s’agit d’une approche pour évaluer les conditions minimales nécessaires pour obtenir un résultat particulier.

L'avantage principal de l'utilisation de la méthode FsQCA par rapport à une méthode qualitative traditionnelle, c’est qu'elle offre une meilleure représentation des incertitudes et des nuances dans les données nominales ou ordinales. De plus, la méthode FsQCA peut traiter un grand nombre de variables de manière efficace et fournir des résultats quantifiables, ce qui peut être utile pour la prise de décision et la planification.

Cette méthode a fait ses preuves lors d’une étude menée par Lehiany et Chiambaretto en 2019 sur un autre aspect du transport ferroviaire : le transport de passagers. Elle a été utilisée pour analyser la stabilité des 11 alliances ferroviaires existantes en Europe pour le marché du transport international de passagers avant la libéralisation du marché. Cette étude a montré que la méthode FsQCA permettait de :

  • Compléter les résultats des méthodes qualitatives qui identifient les causes et expliquent le phénomène de stabilité en prenant en compte la dimension floue d’une variable ;

  • Prendre en compte les cas jugés « aberrants » par l’utilisation de la méthode quantitative qui se concentre naturellement sur une explication unique d’un phénomène.

Concrètement, en utilisant une approche qualitative traditionnelle, il ressort que la stabilité est directement liée à la présence de ressources communes. En utilisant une approche quantitative traditionnelle, les auteurs prouvent qu’il ne semble pas y avoir « de véritables résultats sur les liens directs entre [leurs] variables et la stabilité des alliances ». En utilisant la méthode FsQCA, nous pourrons en déduire l’existence de quatre combinaisons causales.

Nous synthétisons, dans le tableau suivant, les résultats obtenus selon les trois approches méthodologiques décrites précédemment, en présentant notamment les limites et apports de chacune.

Tableau 4 : Synthèses des résultats en fonction des méthodes utilisées

Méthodologie qualitative

Méthodologie quantitative

Analyse Qualitative Comparée

Approche

Inductive ou abductive

Déductive

Abductive

La logique qui prévaut

Une logique de réplication

Une logique de corrélations

Une logique de causalité

Critères d’évaluation

Co-occurrence

Significativité et signe des coefficients de corrélation

Cohérence et couverture des combinaisons minimales de causes

Conclusions obtenues

Dans chaque cas d’alliance stable, on observe la présence de ressources communes.

Les variables « ressources communes » et stabilité ont démontré une corrélation importante permettant d’expliquer le phénomène.

Identification de 4 combinaisons causales produisant de la stabilité en se basant sur les critères de : ressources communes, rapport de force, nombre de partenaires, attractivité du marché, contacts multi marchés, cas couverts, cohérence et couverture.

Pertinence de la méthodologie

Forte

Faible

Forte

Ces résultats mettent en exergue également la façon dont chaque méthodologie parvient ou non à expliquer les facteurs qui influent sur le développement potentiel du transport ferroviaire. La méthode FsQCA, que nous préconisons, montre que l’ensemble des combinaisons d’explications se compose de la mutualisation des ressources et de la stabilité du marché tout en prenant en compte les dimensions complémentaires comme l’attractivité du marché et le nombre d’acteurs se partageant le marché. Notre proposition consiste à utiliser cette méthode pour identifier et déterminer les leviers pour le développement du transport de fret ferroviaire entre la France et l’Espagne.

7.  Conclusion

Face aux enjeux environnementaux, le transport ferroviaire de fret représente un véritable défi mais aussi une opportunité à saisir. Le terrain de recherche pour le transport ferroviaire de marchandises tend, cependant, à montrer que nous n’avons pas encore clairement identifié les logiques permettant de favoriser l’utilisation de ce mode de transport dans l’acheminement de marchandises.

Les résultats de Khodad & Baron (2020), fondés sur des entretiens semi-directifs auprès de 50 prestataires logistiques, montrent que les principaux freins pour l’adoption du transport de fret sont :

  • L’usage du transport ferroviaire est considéré comme trop complexe : les retards répétés et la lenteur de ce mode de déplacement trop souvent observés ;

  • Les clients de ces prestataires ne sont pas prêts pour opter pour ce mode de transport ;

  • L’offre de transport ferroviaire de fret ne pourrait être étudiée que si les services en amont et en aval des transports sont étoffés, avec du postponment, par exemple.

Pour développer le transport ferroviaire de fret, l’idée serait de procéder à une prise de décision hybride entre les décisions collectives et autoritaires telles qu’elles sont définies par Rogers (1995).

Par ailleurs, Houanti, H., & Oruezabala, G. (2018) se sont focalisés sur 4 thématiques d’interviews :

  • Les stratégies logistiques conduisant aux choix de mode de transport

  • Les avantages perçus du fret ferroviaire

  • Les contraintes et les inconvénients générés par cette modalité du fret ferroviaire

  • Les éléments de transformation qui pourraient être envisagés dans le futur

Leurs interviews ont été réalisées auprès de 18 entreprises françaises dont les contacts étaient des experts, des responsables d’exploitation de transport chez les chargeurs. Houanti, H., & Oruezabala, G. ont procédé à une analyse de contenu des réponses obtenues.

Notre article a souhaité proposer un périmètre géographique spécifique lié aux échanges entre l’Espagne et la France (et le reste de l’Europe). Il s’avère intéressant avec la perspective de flux de marchandises que l’Espagne va générer à horizon 2030 via :

  • Un positionnement géographique favorable (liaison entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord voire l’Asie) ;

  • Le développement d’autoroutes du rail en Espagne à partir de Barcelone et à terme des ports de Tarragone et de Valencia d’ici 2026.

Dans nos études à venir, nous aurons recours à la méthode FsQCA. Exigeante et complexe, elle nous permettra de mieux cerner et comprendre les combinaisons causales possibles pour l’intégration du transport ferroviaire dans les chaînes logistiques. Notre prochaine étape se situe donc à la croisée de plusieurs chemins : découvrir les leviers de développement tout en mettant en évidence les stratégies décisionnelles pour appliquer de nouveaux schémas logistiques dans le transport de marchandises.

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Notes

1 La lettre de voiture est le contrat de transport de la marchandise qui lie l’expéditeur, le commissionnaire de transport et le transporteur. Retour au texte

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Citer cet article

Référence électronique

Virginie André et Gaëlle Fauchard, « L'adoption du fret ferroviaire : freins et perspectives. Étude de cas de la France et de l’Espagne », Cahiers du CRINI [En ligne], 4 | 2023, mis en ligne le 21 juillet 2023, consulté le 03 décembre 2025. URL : https://cahiers-du-crini.pergola-publications.fr/index.php?id=145

Auteurs

Virginie André

est Maîtresse de Conférences à l’IUT de Saint Nazaire, département Management Logistique et Transport et membre du LEMNA (Laboratoire d’Economie et de Management Nantes Atlantique EA 4272). Le cadre de ses recherches concerne principalement le développement d’outils d’aide à la décision dans la Supply Chain. En travaillant à la planification des opérations de SC, elle s’est intéressée aux problématiques de développement de solution durable pour le transport de fret, et plus précisément entre la France et l’Espagne. Elle co-dirige le master Management des Supply Chain Industrielles et Innovantes.

Gaëlle Fauchard

est Maîtresse de conférences en études hispaniques à la Faculté des Langues et Cultures Étrangères de Nantes Université et membre du CRINI (EA 1162). Dans le cadre de ses recherches, elle interroge le bien fondé des politiques dans la mise en œuvre du transport en Espagne et étudie tous les facteurs qu'il convient de connaître et comprendre lors d'un processus d'internationalisation en Espagne. Elle dirige le Master Logistique internationale & Management.

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