Malgré les contacts entre différentes langues et cultures pendant l’époque coloniale, très peu d’études se sont penchées sur les dynamiques linguistiques pendant la colonisation. Cécile Van den Avenne (2) observe dans ce sens que « contrairement à ce qui se passe en anthropologie culturelle, l’historiographie linguistique reste encore très muette sur les liens entre science linguistique et colonialisme ». Les études de Migge et Léglise (2007), et d’Errington (2008) montrent également que l’intérêt pour les politiques linguistiques pendant la colonisation est plutôt récent.
En ce qui concerne la langue italienne, selon Palermo (270), l’aventure coloniale constitue un chapitre important de l’histoire linguistique italienne, car elle permet d’observer les anciennes (mais très peu connues) façons de diffuser l’italien à l’étranger. Bruni (157) observe qu’il est surprenant qu’un morceau de l’histoire de l’italien soit passé inaperçu. Pour Vedovelli (28), sans l’observation et l’analyse des racines de l’histoire linguistique, il serait impossible de comprendre et d’interpréter ses tendances. Sur la base de ce constat scientifique, dans cette étude nous illustrerons les principales politiques linguistiques et éducatives pendant la colonisation italienne en Afrique. Mais avant de focaliser l’attention sur la situation de la langue italienne dans la Corne de l’Afrique, nous proposerons quelques réflexions sur le binôme « linguistique et colonialisme ».
1. Les bases idéologiques des politiques linguistiques coloniales
Selon Calvet (1974), le colonialisme linguistique n’est rien d’autre qu’une « glottophagie », c’est-à-dire une tendance qui voit les langues dominantes « dévorer » les langues dominées conduisant inépuisablement ces dernières à disparaître. Pour Calvet (1974) il y a en fait, à la clef, deux dogmes dont le colonialisme glottophage ne peut faire l’économie.
Le premier dogme est celui selon lequel les colonisés ont tout à gagner à apprendre notre langue, qui les introduira à la civilisation, au monde moderne. Le second stipule que, de toutes façons, les langues indigènes seraient incapables de remplir cette fonction, incapables de véhiculer des notions modernes, des concepts scientifiques, incapables d’être des langues d’enseignement, de culture ou de recherche (Calvet 165).
Ainsi, en s’insurgeant contre cette forme de racisme linguistique qu’est la glottophagie, Calvet conclut que les langues, les cultures et les communautés des autres n’existent que comme preuves de la supériorité des nôtres, elles ne vivent que négativement, fossiles d’un stade révolu de notre propre évolution. Et nous savons bien, comme le soutient De Mauro (2018), que parler une langue fait partie d’une activité, d’un style de vie. Être forcé de ne pas utiliser la langue avec laquelle nous avons l’habitude d'exprimer nos pensées et notre identité signifie être contraint d’abandonner une forme de vie et par conséquent de mourir linguistiquement et culturellement. C’est probablement dans ce sens que, sans se référer directement aux langues, Mbembe (450-456) fait allusion au concept « d’autophagie » qui engendre la fin de la communauté. En réalité, selon cet auteur, il n'y a pas de communauté digne de ce nom si celle-ci ne peut plus célébrer la mémoire des vivants. Déclinée d'un point de vue linguistique, « l’autophagie » de Mbembe (2019) permet de corroborer la thèse de Calvet en montrant que les Africains n’existeraient pas culturellement sans leurs langues et langages.
Une autre forme de répression linguistique qu’ont subie les Africains et leurs langues est naturellement l’idéologie qui la sous-tend. Il s’agit du modèle universaliste analysé par plusieurs chercheurs. Pour Makoni (87), par exemple, la linguistique coloniale peut se définir comme « […] the study of the construction of languages within a universalizing/totalizing colonial framework, has left a very complex legacy in language scholarship in Africa. Part of the complexity lies in its culture-centrism »1. Reprenant les considérations de Pennycook et Errington, Shohamy (34) ajoute que « […] the construction of language families, organic differences between language types, language trees, and so on became closely tied to the scientific racism of the 19th and 20th centuries »2. Calvet partage ce point de vue lorsqu’il observe que la stratification typologique des langues (isolement, agglutination et flexion) est également liée à cette idéologie linguistique. En réalité, cet auteur, rappelant l’aspect normatif-eurocentrique de ce modèle linguistique, illustre la position des tenants de cette idéologie linguistique. « Les langues flexionnelles sont les plus évoluées (c’est l’aspect normatif) et correspondent comme par hasard aux langues-indoeuropéennes (c’est l’aspect européocentriste) » (Calvet 52). Par conséquent, la manière approximative et trop simpliste avec laquelle les missionnaires ont transcrit les langues indigènes (en se fondant sur les langues coloniales), pourtant très complexes, n’a rien fait d’autre que démontrer « the ways colonial agents made alien ways of speaking into objects of knowledge, so that their speakers could be subjects of colonial power »3 (Errington vii). Pour Bourdieu il s’agit d’une « violence symbolique » dont le but est « d’extorquer des actes de soumission, pas perçus comme tels, fondés sur des attentes collectives et des croyances socialement inculquées » (Bourdieu 169). En définitive, « la colonisation n’est ni évangélisation, ni entreprise philanthropique, ni volonté de reculer les frontières de l’ignorance, de la maladie, de la tyrannie, ni élargissement de Dieu, ni extension, ni droit » (Césaire 120) : elle n’est rien d’autre que le racisme.
2. Politique linguistique italienne pendant la colonisation
La politique linguistique de l’Italie dans la Corne de l’Afrique, principalement pendant la période fasciste, se fondait sur l’italianisation linguistique, qui passait à travers la réduction de l’espace linguistique de l’amharique, la promotion propagandiste des autres langues nationales, l’interdiction d’apprendre et d’utiliser d’autres langues étrangères et l’italianisation de la toponymie.
2.1. Le processus d’italianisation linguistique
Le premier objectif de la politique linguistique italienne était de diffuser le plus possible la langue italienne pour pouvoir communiquer avec les populations indigènes. Mais cette diffusion n’a pas été sans difficulté puisqu’à l’arrivée des Italiens dans cette zone d’Afrique, les dialectes avaient encore une place de choix dans leurs habitudes linguistiques, ce qui amena beaucoup de colonisateurs à s’exprimer en utilisant les dialectes des différentes régions d’Italie. Par ailleurs, ne voulant pas et/ou ne pouvant pas parler l’italien standard, les Italiens s’adressaient très souvent aux indigènes en utilisant une variété linguistique d’italien dominée par l’emploi de l’infinitif. Pour éviter cette nouvelle tendance linguistique, le régime exhortait les fonctionnaires et militaires italiens à parler un italien simple et correct en leur rappelant de combattre l’hybridisme linguistique de la même manière qu’ils empêchaient les mariages entre Italiens et indigènes. Dans ce sens, Perbellini (49-50) rappela le slogan « niente incroci, né di sangue, né di parole »4. Le même auteur rappelle que l’interdiction d’utiliser les dialectes italiens ou le pidgin italien n’était pas respectée, même par ceux qui étaient supposés veiller au respect de cette consigne. Dans ce sens, un colonel vénitien s’indigna contre ses soldats qui continuaient à s’exprimer en dialecte en s’exclamant lui aussi en dialecte vénition (vénition) : « Parlate italiano, fioi de cani ! »5 Le même scénario s’observe avec un fonctionnaire qui s’adressa, en pidgin (tendance à employer tous les verbes à l’infinitif) italien, à un employé érythréen qui ne respectait pas l’injonction visible sur une affiche relative à l’interdiction d’utiliser le pidgin italien : « Se tu ‒ urlava il dabbenuomo ‒ continui a parlare così, io prendere te a curbasciate ! »6.
Même la connaissance des langues étrangères de la part des natifs constituait un danger pour le régime. « All natives who can speak French or English are being arrested and removed to Mogadishu or elsewhere »7 (Pankhurst 374). Avant l’arrivée des Italiens, l’amharique était la lingua franca sur le territoire éthiopien (qui comprenait aussi l’Érythrée). Ainsi, elle était connue de tous et était indispensable pour le commerce et l’éducation. La mise en place d’un test d’admission en amharique était une stratégie du gouvernement éthiopien pour forcer les Érythréens et les étrangers à apprendre l’amharique, mais aussi pour limiter leur nombre. Cette politique linguistique éthiopienne nous ramène à l’épisode biblique du Chibboleth (Livre des Juges, 12, versets 5-6), d’ailleurs cité par plusieurs études sur les modèles d’intégration linguistique des immigrés (Barni). En réalité, dans ce récit biblique, on observe que, suite à une guerre sanglante, les hommes de Galaad battirent ceux d’Ephraïm : « Quand l’un des fuyards d’Ephraïm voulait traverser la rivière, les hommes de Galaad lui demandaient s’il venait d'Ephraïm. S’il répondait : « Non », ils lui ordonnaient de prononcer le mot Chibboleth [« épi », en français]. S’il disait : « Sibboleth », parce qu'il n’arrivait pas à le prononcer comme eux, ils le saisissaient et l'exécutaient près des gués du Jourdain ». Selon Barni (ibid.), ce type de test linguistique, que l’on observe encore dans nos sociétés, heureusement sans conséquences funestes comme dans le récit précédent, loin de valoriser la diversité linguistique, a la fonction d’un instrument sélectif, purement idéologique et de défense du territoire.
Face à la force de l’ahmarique, la mission de l’Italie était donc d’affaiblir autant que possible cette langue. Pour le faire de manière efficace le gouvernement colonial décida de promouvoir de manière propagandiste plusieurs langues nationales. Celles-ci étaient par exemple utilisées à l’école primaire. En détrônant l’amharique, l’autorité éthiopienne fut affaiblie, et l’italien devint beaucoup plus important. Cette stratégie linguistique italienne est semblable à un autre épisode biblique, celui-ci aussi mentionné par plusieurs études sociolinguistiques (Vedovelli) : nous faisons allusion à la malédiction de Babel (Livre de la Genèse 11 :1-9). Le texte biblique rappelle la période où les habitants de la terre ne parlaient qu’une seule langue. Grâce à cette unité linguistique, le peuple décida de construire une ville et une tour dont le sommet devait atteindre le ciel. Mais la Bible révèle que face à ce projet, « l’Éternel brouilla le langage de toute la terre et c’est de là qu’il les dispersa sur toute la terre ». C’est pourquoi on appela cette ville Babel. Contrairement à l’épisode de Babel où l’unique langue fut remplacée par une multitude de langues, dans le cas éthiopien et érythréen, l’Italie décida de confondre l’amharique, langue dominante et lingua, à la multitude des langues locales présentes sur le territoire de manière à ériger la langue italienne comme unique et seule langue dominante. Ce processus de babelisation a été observé dans plusieurs colonies. Stroud (509) observe dans ce sens que:
Historically, colonial linguistics was a prominent tool in the colonial project of governmentality, where a politics of “divide and rule” encouraged the multiplication of languages and the creation of unbridled linguistic diversity – an African “Tower of Babel” – that was seen to rationalize strict colonial regulation of linguistics realities8.
Au niveau scolaire, l’Italie avait le pouvoir politique d’imposer l’utilisation de l’italien. Le septième point du Decalogo dell’italiano all’estero (Décalogue de l’Italien à l’étranger) énonçait d’ailleurs ce qui suit :
[…] Educa i figli tuoi nel culto dell'Italia. Obbligali a parlare, leggere e scrivere la lingua paterna e a studiare la storia d’Italia; inviali di preferenza alle scuole italiane; compra buoni libri italiani. Procura di diffondere tra gli stranieri la conoscenza dell’Italia, l’amore alla sua cultura e alla sua lingua9 (Lega Navale 1913: 13).
Le rôle de l’école était d’instruire contre la rébellion, de limiter le niveau intellectuel des indigènes afin de les empêcher d’accéder aux grandes écoles et, par ricochet, d’avoir une vision politique et culturelle plus ouverte. Dans ce sens, Pankhurst (374) soutient que « Italian policy aims at the elimination of prominent and educated natives who are regarded as potential inciters of rebellion against Italian rule »10. C’est donc pour cette raison que les élèves indigènes n’avaient droit qu’aux notions de base de langue italienne. Il était question qu’ils aient le niveau linguistique qui devait leur permettre d’exercer certaines fonctions spécifiques (domestiques, menuisiers, collaborateurs des militaires italiens, etc.). En plus d’un niveau d’italien de base, les écoliers africains devaient connaître l’Italie, ses gloires et son histoire pour devenir des milices qui respectent fidèlement les couleurs de leur patrie adoptive.
2.2. L’italianisation de la toponymie
L’influence italienne dans la Corne de l’Afrique a déterminé une forte présence des toponymes de langue italienne. Ces signes linguistiques dans la géographie urbaine de l’Afrique orientale sont des témoignages écrits qui, bien que n’existant plus (pour la majorité), resteront gravés dans l’imaginaire linguistique des indigènes mais surtout dans l’histoire de la diffusion de la langue italienne de cette région d’Afrique. On peut par exemple rappeler que les deux principaux boulevards d’Addis Abeba et Asmara respectivement dénommés Via Mussolini et Viale Mussolini s’appellent aujourd’hui Churchill Avenue et Harnet Avenue ou encore Liberation Avenue. La présence massive des Italiens et la création des villages et quartiers italiens donnèrent aussi naissance à l’italianisation de l’onomastique locale. Mais cette italianisation se justifiait aussi par le vent de purisme qui soufflait pendant la période fasciste. L’idée était donc de traduire les dénominations coloniales en langue italienne.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons analysé le paysage linguistique des principales villes (Addis Abeba, Asmara, Mogadiscio) de la Corne de l’Afrique durant la période coloniale en nous basant sur les enseignes des établissements de commerce et leurs toponymies. L'analyse des données, élaborée à travers le dépouillement des archives de la Guida dell’Africa Orientale Italiana, publiée en 1938 par la Consociazione Turistica Italiana (CTI), révèle que la physionomie des principales villes de la Corne de l’Afrique n’était pas différente des villes italiennes en ce qui concerne les enseignes. En observant le paysage linguistique de ces trois villes africaines, on note une forte influence de la propagande liée au régime fasciste, qui gouvernait pendant cette période.
L’analyse de notre corpus nous permet d’observer que le champ sémantique qui prévalait était celui de la gloire, de la victoire et de la domination impériale. Nous pouvons citer certains exemples comme : Ristorante della vittoria, Ristorante delle rose, Ristorante vittoria, Ristorante stella d’Italia, Albergo vittoria, Ristorante Nobile, Cinema Impero, etc. Si l’analyse de la toponymie révèle une tendance plus orientée vers les noms propres de personnes ou les titres honorifiques (Corso del Re, Corso V. E. Re e Imperatore, Via Principe di Piemonte, Viale della Regina, Viale E. de Bono, Viale Mussolini, etc.), et donc prônant un accent propagandiste et un culte de la personnalité, les enseignes révèlent au contraire des références culturelles plutôt diversifiées. Nous avons, en effet, les noms de villes et régions (Cinema Roma, Ristorante Bella Napoli, Ristorante Torino, Hotel Torino, Ristorante Bologna, Ristorante Friuli, Ristorante Romagna, Ristorante Lombardia, etc.) ; les noms de lieux (Ristorante Vesuvio, Pensione La Foresta, Bar Eden, etc.) ; les dates (Bar 900, Ristorante XVIII novembre, Cinema V maggio), les noms des auteurs littéraires et des hommes de culture en général (Cinema Dante Alighieri, Ristorante Giosuè Carducci, Cinema Guglielmo Marconi). En plus d’être le signe d’une forte créativité linguistique de la part des gérants de ces établissements commerciaux, ces enseignes décrivaient en quelque sorte les caractéristiques de l’univers culturel italien.
Tableaux : Italianisation des toponymes dans la Corne de l’Afrique (CTI, 1938)
Tableau 1 Asmara
|
Noms des établissements |
Toponymes |
Typologies d’établissements |
|
Menghetti Italia |
Corso del Re |
Hôtel - Restaurant |
|
XVIII Novembre |
Via Molise |
Bar - Restaurant |
|
Bella Napoli |
Viale del Bono |
Restaurant |
|
Gazzella Bianca |
Via della Regina |
Ristorante |
|
Croce del Sud |
Viale E. de Bono |
Bar - Restaurant |
|
Romagna |
Viale E. del Bono |
Restaurant |
|
La Pineta |
Viale E. del Bono |
Restaurant |
|
Carducci |
Viale Carducci |
Restaurant |
|
Ristorante della Vittoria |
Via Carducci |
Restaurant |
|
Ristorante delle rose |
Corso del Re |
Restaurant |
|
Bologna |
Corso del Re |
Restaurant |
|
Vesuvio |
Corso Mussolini |
Restaurant |
|
Friuli |
Viale G. Mazzini |
Restaurant |
|
Roma |
Via Rossini |
Hôtel |
|
Albergo diurno |
Via bottega |
Hôtel |
|
S. Cecilia |
Viale Mussolini |
Cinéma-Théâtre |
|
Umberto |
Viale della Regina |
Cinéma |
|
Dante |
Viale della Regina |
Cinéma |
|
Asmara |
Viale Mussolini |
Cinéma-Théâtre |
|
Excelsior |
Viale E. del Bono |
Cinéma |
|
Eden |
Via P. Matteucci |
Bar |
|
Vittoria |
Viale della Regina |
Bar |
|
Crispi |
Viale Crispi |
Bar |
|
Centrale |
Via Martini |
Bar |
|
Farmacia Civile |
Corso del Re |
Pharmacie |
|
Farmacia Centrale |
Largo Baldissera |
Pharmacie |
|
Coop. Farma. Milanese |
Viale Mussolini |
Pharmacie |
|
Banca d’Italia |
Piazza Roma |
Banque |
|
Banca d’Italia |
Corso del Re |
Banque |
|
Banco di Roma |
Piazza Roma |
Banque |
|
Banco di Napoli |
Corso del Re |
Banque |
|
B.N.L. |
Via F. Martini |
Banque |
Tableau 2 Addis Abeba
|
Noms des établissements |
Toponymes |
Typologies d’établissements |
|
Tavernetta |
Piazza Littorio |
Bar-Restaurant |
|
Mafalda |
Corso V. E. Re e Imperatore |
Restaurant |
|
Lombardia |
Corso V. E. Re e Imperatore |
Restaurant |
|
Piemontese |
Corso V. E. Re e Imperatore |
Restaurant |
|
Jacobs |
Via Giuliani |
Restaurant |
|
Donatello |
Viale Tevere |
Restaurant |
|
Berenice |
Via Tripoli |
Restaurant |
|
Montello |
Via Tripoli |
Restaurant |
|
Savoia |
Viale B. Mussolini |
Restaurant |
|
Ristorante delle Poste |
Piazza delle Poste |
Restaurant |
|
Nobile |
Corso V.E. Re e Imperatore |
Restaurant |
|
Imperiale |
Via Amba Alagi |
Hôtel |
|
Mascotte |
Via Principe di Piemonte |
Hôtel |
|
Commerciale |
Via Amba Alagi |
Hôtel |
|
Vittoria |
Viale Bottego |
Hôtel |
|
Europa |
Terme di Finfinnì |
Hôtel |
|
Pens. la Foresta |
Via P. Giuliani |
Hôtel |
|
Pens. Germanica |
Via Amba Aradema |
Hôtel |
|
Romano |
Via Littorio |
Cinéma |
|
Italia |
Via Littorio |
Cinéma |
|
Impero |
Via Massaua |
Cinéma |
|
V Maggio |
P.zza V Maggio |
Cinéma |
|
Marconi |
Via Tripoli |
Cinéma |
|
Imperatore |
Corso V. E. Re e Imperatore |
Cinema |
|
Banco d’Italia |
- |
Banque |
|
Banco di Roma |
- |
Banque |
|
B.N.L. |
- |
Banque |
Tableau 3 Mogadiscio
|
Noms des établissements |
Toponymes |
Typologies d’établissements |
|
Stella d’Italia |
Corso V. E. III |
Restaurant |
|
Torino |
Corso V. E. III |
Restaurant |
|
Cecchi |
Viale Principe di Piemonte |
Restaurant |
|
Moderno |
- |
Restaurant |
|
Rosticceria siciliana |
- |
Restaurant |
|
Posta |
- |
Restaurant |
|
Roma |
- |
Restaurant |
|
Grotta |
- |
Restaurant |
|
Azzurra |
- |
Restaurant |
|
La vela |
- |
Restaurant |
|
Croce del Sud |
Corso Regina Elena |
Hôtel - Bar |
|
Savoia |
Corso V. E. III |
Hôtel |
|
Scingani |
Corso Principe Umberto |
Hôtel |
|
Impero |
Via T. Carletti |
Cinéma |
|
Supercinema |
Via L. Federazioni |
Cinéma |
|
Italia |
Via Littorio |
Cinéma |
|
Napoli |
- |
Bar |
|
Principe |
- |
Bar |
|
Bar 900 |
- |
Bar |
|
Topolino |
- |
Bar |
|
Nazionale |
- |
Bar |
|
Savoia |
- |
Bar |
|
Impero |
- |
Bar |
|
Littorio |
- |
Bar |
|
Circolo Duchessa d’Aosta |
- |
Bar |
|
Banca d’Italia |
- |
Banque |
|
Banco di Roma |
- |
Banque |
|
Banco di Napoli |
- |
Banque |
3. Conclusions
La politique linguistique coloniale italienne, que nous avons tenté d’illustrer dans ce travail, peut se résumer, selon nous, en une expression : la politique du « manger et ne pas parler » (Siebetcheu 100) qui tendait à dévaloriser l’éducation linguistique des indigènes se limitant à privilégier le travail manuel. Nous prenons cette expression de deux dictons de la Corne de l’Afrique. Le premier, érythréen, affirme que : « Gli italiani ci dicevano “mangiate e non parlate”, gli inglesi “non mangiate ma parlate”, gli etiopi “non mangiate, non parlate” »11. Le dicton somalien précise : « La lingua araba serve per la religione, la lingua italiana a riempire il ventre »12. Ces deux dictons révèlent, à notre avis, la politique linguistique coloniale italienne perçue par les populations de la Corne de l’Afrique. Une politique du « manger et ne pas parler » qui n’avait pas l’intention de promouvoir une longue et adéquate formation linguistique des Africains, ceci pour éviter que ces derniers puissent avoir les instruments linguistiques leur permettant de revendiquer leurs droits. Une politique fondée sur des devoirs linguistiques adémocratiques (usage de l’italien sur la base d’une formation scolaire d’une durée de trois ans), qui n’a naturellement pas porté de fruits à long terme. Actuellement en Éthiopie, il n’existe aucune langue officielle de jure puisque, selon la Constitution de 1994, toutes les langues éthiopiennes jouissent de la reconnaissance égale de l’État. Toutefois, l’amharique reste tout de même, selon le texte constitutionnel, la langue de travail, c’est-à-dire la langue officielle de facto du gouvernement fédéral. L’anglais demeure la langue de communication internationale. Même en Érythrée, la Constitution n’indique aucune langue officielle de jure, se limitant à souligner que l’égalité de toutes les langues érythréennes est garantie. Les langues officielles (de facto) sont le tigrigna et l’arabe. L’italien, suite à la colonisation, est connu au moins au niveau de la communication orale par les populations d’un certain âge. En Somalie, les langues officielles sont, selon la Constitution, le somali et l’arabe. Tout comme en Érythrée, dans ce pays les vieillards conservent encore quelques compétences linguistiques acquises pendant la période coloniale. Ces indications montrent clairement que la langue italienne n’a plus aucun poids institutionnel dans ces trois pays de la Corne de l’Afrique. Il est cependant judicieux d’observer que l’historique école italienne de Asmara (fondée en 1935 et temporairement fermée depuis le 31 août 2020), avec environ 1500 inscrits, est la plus grande école italienne à l’étranger en termes de nombre d’élèves, dont près de 90 % sont autochtones. Ces élèves Erythréens, comme ceux de l’école italienne d’Addis Abeba, parlent italien et sont formés selon le modèle scolaire italien.
Dans le paysage linguistique urbain, aujourd’hui l’on trouve encore des enseignes (anciennes et récentes) avec des noms italiens et certains noms de lieux à consonance italienne, tels que Addis Merkato (le marché principal d’Addis Abeba), Piassa Police Station, Piassa Shopping Center, Piassa Cinema Ethiopia, Piassa Degol Square qui témoignent, par exemple, de l’héritage linguistique de l’Éthiopie suite à la colonisation italienne. Mais de manière générale, si l’on exclut les langues locales, le panorama linguistique actuel de ces trois pays de la Corne de l’Afrique est pratiquement anglicisé. Il est opportun de dire qu’après la colonisation, la langue italienne a joué un rôle important dans le processus de somalisation de la Somalie, mais ce projet qui aurait fait peut-être de l’italien une langue véhiculaire dans ce pays a été interrompu en 1991 par la guerre civile.
Si l’on se réfère aux deux grands systèmes politiques coloniaux, « l’administration directe » (France) et « l’administration indirecte » (Grande Bretagne), on peut dire que, dans la Corne de l’Afrique, la politique linguistique italienne était orientée vers une administration directe, dont les interventions linguistiques peuvent être considérées « partielles » et « limitées » (Siebetcheu 132). Partielles parce que seuls les membres de l’aristocratie locale pouvaient suivre un parcours scolaire standard. Limitées parce que la courte durée de l’enseignement (trois ans) réduisait également les compétences linguistiques des autochtones. En outre, « limitées et partielles », parce que même les autochtones qui avaient effectué un parcours scolaire standard n’étaient pas autorisés et/ou n’avaient pas la possibilité d’atteindre des niveaux sociaux correspondant à ceux des Italiens.
