Le 27 octobre 2020, lors de la présentation des premières estimations de la production mondiale de vin pour 2020 (OIV, 2020), le directeur général de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, Pau Roca, a souligné l’importance d’un secteur vitivinicole moderne, innovant et résilient. Les propos du président de l’OIV reflètent-ils une volonté de moderniser le secteur en utilisant des méthodes, des techniques et des approches marketing contemporaines, une volonté de se détacher des conventions sociales traditionnelles, ou les deux ? Propose-t-il le développement d’un système complètement nouveau et original qui puisse dépasser les nombreuses difficultés rencontrées par l’industrie vitivinicole ces dernières années ? Quoi qu’il en soit, ces suggestions sont une réponse faisant suite à la situation subie face à la crise de la COVID-19. Ainsi, les situations de crises multiples dans l’industrie du vin remettent en question le système de production, de distribution et de consommation du vin.
Parallèlement, ces dernières années, beaucoup d’encre a coulé à propos de la génération de jeunes consommateurs. Les jeunes adultes d’aujourd’hui appelés génération Z ou Gen-Zers sont nés entre 1996 et 2012. La recherche sur les Gen-Zers a récemment fait l’objet d’une attention croissante dans l’industrie du vin, mais elle est surtout limitée au Royaume-Uni, aux États-Unis et à l’Australie (Teagle et al., 2010). L’arrivée des Gen-Zers signifie que de nombreuses orientations fondamentales du marketing doivent changer en fonction des caractéristiques et des valeurs de cette génération. Par exemple, une approche hiérarchique, dans laquelle les consommateurs doivent écouter, accepter et acheter, arrive à son terme. Environ 17 959 954 Français (26,73 % de la population) sont actuellement âgés de 0 à 21 ans (INSEE, 2020). Les 18-21 ans de ce segment, environ 3 179 039 (4,73 % de la population), sont un segment potentiel pour l’industrie du vin alors que l’on ne sait que relativement peu de choses sur leurs attitudes ou leurs comportements en lien avec le secteur œnotouristique.
La capacité à comprendre et attirer cette nouvelle génération de consommateurs dans un contexte de crise semble difficile pour les petits et moyens producteurs et les coopératives, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas forcément les moyens d’adopter rapidement un système innovant. En France, seules quelques entreprises du secteur vitivinicole utilisent aujourd’hui les nouvelles technologies pour se développer. L’une d’entre elles, la coopérative vitivinicole Labastide (CVL), située à Gaillac dans le sud-ouest de la France, près de Toulouse en Occitanie, expérimente la mise en œuvre de la réalité virtuelle (RV). Cette technologie aide à virtualiser l’expérience de consommation de vins. En tant que moyen de distribuer et de vendre ses vins, elle permet potentiellement d’attirer des clients et d’augmenter les ventes de vins. En plus de ses ventes, la CVL a pu tirer profit du e-tourisme vitivinicole en développant un parcours expérientiel de qualité couvrant les différentes étapes clés d’une visite œnotouristique. Dans la lignée du marketing expérientiel, au sens de Pine et Gilmore (1999), différentes études ont été menées sur les apports d’une approche expérientielle dans le secteur de l’œnotourisme (Haller et al., 2020 ; Priilaid et al., 2020 ; Sigala et Robinson, 2019 ; Thanh et Kirova, 2018).
En réponse aux enjeux stratégiques de la CVL : « gagner et fidéliser les clients en leur offrant davantage de services, attirer une clientèle plus jeune et renforcer le développement de son approche sociale et environnementale », la Direction de la coopérative a cherché à développer des avantages issus de l’utilisation de la RV.
Cette recherche s’articule autour de deux grandes phases. Dans un premier temps sera présentée une étude exploratoire des attentes des Gen-Zers en lien avec l’œnotourisme et l’utilisation de la RV. Nous présenterons l’expérience réalisée auprès d’un panel de 28 personnes de cette génération afin de comprendre les apports et les limites de l’utilisation de la réalité virtuelle. Dans un second temps, sera développée une étude de cas illustratif sur l’utilisation de la RV par la CVL. Nous présenterons le processus mis en place par la coopérative pour implémenter la RV en tant que nouvelle expérience œ.notouristique et nous discuterons les obstacles auxquels la coopérative vitivinicole a été confrontée pendant (1) la mise en œuvre de la technologie, (2) le développement des ressources utilisées, et (3) l’utilisation de la RV par les consommateurs. Cette recherche proposera finalement des recommandations managériales sur la façon dont la réalité virtuelle peut aider les organisations parties prenantes du développement du tourisme vitivinicole à attirer plus de clients et à obtenir un avantage concurrentiel.
1. L’œnotourisme next-gen : la réalité virtuelle comme nouveau contexte expérientiel
Depuis plus de 10 ans, la recherche sur l’œnotourisme n’a cessé de se développer (Gómez et al., 2019 ; Sánchez et al., 2017). L’une des orientations de ces recherches a porté sur l’adaptation du marketing expérientiel et la proposition de nouvelles expériences auprès des œnotouristes. Pour Thanh et Kirova (2018), dans ce contexte œnotouristique, deux types d’expériences prédominent : les expériences d’éducation et de divertissement. Les recherches centrées sur la cocréation d’expériences œnologiques montrent que ce type d’expérience sert d’outil d’apprentissage de la culture du vin ; que cela correspond à un mode de vie populaire ; et que la consommation de vin a un aspect identitaire et relationnel (Sigala et Robinson, 2019). Cependant, ces expériences sont soumises à un effet d’usure expérientielle (Roederer et Schwarzberg, 2015). Par conséquent, la technologie apparaît comme un élément essentiel dans la création de nouvelles expériences dans le tourisme pour contrer cet effet d’usure technologique (Buhalis, 2022). Ainsi, les innovations technologiques apparaissent comme des opportunités de renouvellement expérientiel en phase avec les nouveaux usages technologiques des consommateurs (Bédé et al., 2019). Plus précisément, la RV peut être utilisée par les entreprises vitivinicoles pour créer de nouvelles expériences œnotouristiques.
La RV est un concept étendu qui englobe de multiples applications et de nombreux outils (Fuchs et Moreau, 2006), dont l’utilisation de casques de RV. Ces outils technologiques ont été étudiés dans un premier temps dans l’optique de renforcer la digitalisation des magasins. Ainsi, Flavián et al. (2019) ont relevé les opportunités offertes par l’utilisation de la RV : les clients peuvent y trouver une valeur ajoutée qui est corrélée selon le niveau d’implication et de cocréations offert. Grewal et al. (2020) ont relaté que l’expérience de RV devrait renforcer le sentiment de téléprésence tandis que Martínez-Navarro et al. (2019) ont démontré l’efficacité de la RV par rapport aux magasins physiques. Parallèlement à cela, des recherches plus récentes ont montré que l’utilisation des casques de RV confère une plus grande stimulation expérientielle que d’autres outils de RV (Flavián et al., 2021).
Les recherches en marketing expérientiel, plus précisément celles qui se sont concentrées sur le tourisme et l’œnotourisme, se sont focalisées sur les bénéfices des expériences et sur la valeur perçue par le consommateur (Sigala et Robinson, 2019). Dans le contexte touristique, Tussyadiah et al. (2018) ont suggéré que l’utilisation des casques de RV renforce le sentiment de téléprésence et influencent positivement la perception du divertissement, l’attitude du consommateur et ses intentions. Loureiro et al. (2020) ont souligné que la RV apparait comme une véritable opportunité stratégique en créant des expériences plus immersives. An et al. (2021) ont confirmé que la RV devient un outil essentiel pour la désirabilité des destinations touristiques. Cependant, cet outil doit être considéré comme un complément, et non comme une alternative. Si le consommateur a réellement le sentiment d’être transporté vers la destination souhaitée, alors la satisfaction et les intentions de visite seront positives (Kim et al., 2020). Plus spécifiquement en lien avec l’œnotourisme, la RV peut être utilisée comme un outil de revitalisation expérientielle, à l’image des nouvelles expériences proposées par la Cité du Vin dans la région de Bordeaux en France, qui utilise des vidéos à 180°, qui propose une visite virtuelle de l’architecture du site et qui permet de fouler virtuellement du raisin ou de survoler des vignobles (Martinez (2023) ; Garibaldi et Sfodera, 2020). Dans le même ordre d’idées, Wen et Leung (2021) ont démontré que l’utilisation de la RV, de façon complémentaire à une dégustation de vins, augmenterait les intentions d’achat de vins.
La RV apparaît comme une réelle opportunité de création de nouveaux contextes expérientiels, rendant le voyage œnotouristique plus attractif. Le marketing expérientiel dans le secteur œnotouristique évolue en fonction des attentes des consommateurs et permet de développer des avantages concurrentiels pour les marques (Schmitt, 1999). La création d’expériences au cours du processus de consommation d’un produit et/ou d’un service répond aux nouvelles attentes des individus qui recherchent une expérience extraordinaire et qui souhaitent donner du sens à leur consommation (Roederer et Filser, 2016).
2. Une étude exploratoire des spécificités des Gen-Zers
La dénomination « Gen-Zers » ou « Génération Z » fait référence aux individus d’une classe d’âge spécifique, nés entre 1996 et 2012 (Schwieger et Ladwig, 2018). En termes quantitatifs, ce segment de la population est conséquent. Il représente, en France, plus de 13 millions de personnes, soit 20,64 % de la population (INSEE, 2020). Au-delà de ces données quantitatives, variables selon le pays, cette cible est primordiale pour les entreprises du secteur œnotouristique, car elle incarne le principal potentiel de renouvellement des consommateurs.
3. Les Gen-Zers : une génération technophile avec des attentes spécifiques ?
Cette génération est considérée comme la première à avoir évolué avec les nouvelles technologies (Özkan et Solmaz, 2015), soit la première à être née après le début de la démocratisation d’Internet. Par conséquent, elle n’a connu qu’un monde connecté instantanément, avec des canaux d’informations et de communication ubiquitaire juste à portée de main (Schwieger et Ladwig, 2018). Cette génération hyperconnectée développe des besoins et des habitudes de consommation qui lui sont propres. C’est donc un véritable challenge aujourd’hui de parvenir à comprendre leurs motivations, leurs représentations et leurs comportements d’achats.
Schwieger et Ladwig (2018) ont recensé diverses études se focalisant sur les caractéristiques des Gen-Zers afin de proposer des axes adéquats de développement de modes d’apprentissage. À partir du travail de ces deux auteurs, le Tableau 1 (p. 6) expose les principales valeurs et attentes de cette génération relatives à leur comportement de consommation. Incontestablement des tendances et spécificités émergent, à la fois en termes d’utilisation des nouvelles technologies, mais également au regard de la transparence des informations transmises, du réalisme du contenu diffusé, de la facilité de l’accès à l’information ainsi que du caractère hédoniste du vécu de l’expérience de consommation.
Tableau 1 - Les valeurs et attentes de consommation des Gen-Zers
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Valeurs et attentes |
Explications |
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Expérience client |
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Storytelling |
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Attentes expérientielles |
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Connexion internet et réseaux sociaux |
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Source : adapté de Schwieger et Ladwig, 2018
Le secteur du tourisme, ces dernières années, a vu émerger un nouveau segment de clientèle, qualifié de « tourisme des jeunes1 », regroupant les générations Y et Z, c’est-à-dire les jeunes de 15 à 29 ans. Ce segment du tourisme des jeunes connaît la croissance la plus rapide du tourisme international, 23 % du milliard de voyageurs internationaux voyageant chaque année ont moins de 29 ans. Ces consommateurs se distinguent par des attentes spécifiques : développement du tourisme local, interactions sociales plus fortes avec les populations locales et protection de l’environnement. Dans le secteur de l’œnotourisme plus spécifiquement, certains domaines et lieux dédiés au vin ont déjà commencé dynamiser leur offre en fonction de ces perspectives. Nous pouvons notamment citer la Citée du Vin à Bordeaux2, l’appellation Beaumes-de-Venise3 ou encore le Domaine de Laroche à Chablis4. Ces éléments attestent d’une idée primordiale pour la filière : la nécessité de se préparer à une nouvelle forme de consommation en lien avec des attentes générationnelles, qui, par ses spécificités et le contexte actuel, n’a plus les mêmes attentes et les mêmes schémas de consommation que les générations passées.
À notre connaissance, très peu de recherches en marketing se sont intéressées aux Gen-Zers. Par conséquent, nous avons mobilisé un protocole de recherche à visée compréhensive du comportement de consommation des Gen-Zers. L’objectif est d’approfondir nos connaissances quant au vécu de l’expérience de RV du point de vue des Gen-Zers (phase 1) et de la mise en place d’une expérience de RV au sein d’une coopérative (phase 2).
4. Une recherche compréhensive des attentes des Gen-Zers via le vécu de l’expérience de réalité virtuelle (phase 1)
La collecte de données a été réalisée auprès de 28 individus, tous étudiants en IUT au sein de l’académie de Toulouse. La réalisation d’entretiens semi-directifs a été réalisée en deux temps : ex-ante et ex-post à l’expérience de RV. Cette expérience a consisté, pour l’échantillon étudié, à visualiser une vidéo à 360° via l’utilisation d’un casque de RV. Cette vidéo a été construite autour d’un scénario unique, reprenant l’ensemble des étapes d’une visite d’un domaine vitivinicole. L’échantillon est composé d’individus de 18 à 23 ans pour un âge moyen de 19 ans. Cette collecte a été arrêtée lorsque les unités d’observations analysées n’ont plus apporté d’enrichissements nouveaux à la recherche, c’est-à-dire lorsqu’il nous a semblé avoir atteint le seuil de saturation sémantique. Le premier temps de l’entretien, avant l’expérience de RV, a été dédié à la compréhension du comportement de consommation de vin et aux attentes relatives au vécu d’une expérience œnotouristique classique. Le second temps de l’entretien, après l’expérience de RV, s’est concentré sur le vécu de l’expérience des individus en lien avec l’utilisation de la RV. Les participants à l’étude ont été accueillis individuellement pour visionner la vidéo via un casque de RV. Les participants ont été mis en situation de visite virtuelle œnotouristique et les entretiens ont tous été menés à l’aide d’un guide d’entretien. Les impressions des participants ont été recueillies à l’oral sous la forme d’entretiens semi-directifs, d’une durée comprise entre 22 et 46 minutes, soit au total près de 13 heures d’enregistrement. Une fois les données collectées, une analyse de contenu a été menée en utilisant le logiciel Sphinx IQ². Les participants de cette étude ont été anonymisés et référencés de P1 à P28. L’analyse de contenu a été réalisée sans cadrage théorique préalable afin de faire émerger les unités clés des discours des différents répondants sans catégorisation préalable. Cela a ainsi permis de faire apparaître des éléments clés dans les narrations présentant des similitudes entre les points de vue des répondants. Par ce mode opératoire, les données collectées et analysées permettent de mieux comprendre l’expérience de RV vécue par les utilisateurs.
5. L’expérience de réalité virtuelle vécue par les Gen-Zers : une immersion totale
Le ressenti du concept de téléprésence, soit l’immersion dans une véritable visite et étant ressentie comme telle, a permis aux utilisateurs de vivre une expérience « authentique » (P5) disposant d’un caractère plus tangible que la simple recherche d’informations via le web : « Ça donne une vision concrète du produit et de son utilisation » (P1). L’exploitation des casques de RV a engendré une sensation de téléprésence élevée et, par voie de conséquence, une forte perception de l’immersion, comme, par exemple, de marcher pour se déplacer dans la dimension virtuelle, faisant oublier aux utilisateurs qu’ils ne se trouvaient pas, factuellement, dans cet espace virtuel. Cette expérience a été qualifiée de : « surprenante » (P1) ; « bluffante » (P2) ; « étonnante, ludique » (P20). Bien que les Gen-Zers aient une tendance élevée à utiliser les outils numériques (smartphone, ordinateur, tablette tactile, etc.), l’avant-gardisme de cette technologie engendre un effet de surprise. Cette technologie devient un moyen de transcender l’espace et le temps et de voir le lieu de production, sans pour autant les dissuader de se rendre physiquement au domaine, et, qui plus est, elle met en lumière une potentielle utilité sociale et technique de l’outil : « c’est très intéressant pour les gens qui ne peuvent pas se déplacer » (P8). À la quasi-unanimité, l’expérience vécue a enthousiasmé : « l’utilisation de la réalité virtuelle, c’est original, et j’ai maintenant une vision détaillée de la fabrication du produit et une mise en avant de la qualité du produit » (P12) ; « je trouve sympa de pouvoir utiliser les nouvelles technologies. Cela démarque l’entreprise des autres et donne une image plus jeune » (P25). Néanmoins, la conception du storytelling de la vidéo à 360° a fait émerger une première limite : l’absence d’interactions sociales demandées par cette génération et qui pourraient prendre la forme d’échange et de discussion sur les réseaux sociaux parallèlement à l’utilisation de la technologie. Pour autant, l’emploi de la RV a permis de mettre en lumière la dimension éducative de cet outil : « de faire découvrir le produit et la production » (P9) ; « on peut apprendre comment est fait le vin, cela est intéressant » (P22) ou encore « de voir les étapes de la conception du vin » (P23). Cette expérience génère une plus-value certaine, car au-delà du divertissement procuré, elle a permis l’acquisition de nouvelles connaissances concernant la production vitivinicole tout en évitant de se rendre sur place. L’aspect divertissant de ce mode d’apprentissage a été également souligné : « c’est une manière ludique de suivre le processus » (P5) ; « Elle [la vidéo 360°] nous amène à savoir plus et à nous intéresser » (P25). Toutefois, la principale critique en lien avec la réalisation de cette expérience réside dans l’absence de dégustation de vins pour les participants.
Les Gen-Zers considèrent le vécu de l’expérience de RV comme divertissante et comme un moyen d’obtenir des informations de manière ludique en allant même jusqu’à exprimer l’intérêt de l’outil dans l’acquisition de connaissances. Des questions subsistent quant à la mise en œuvre de ce type de technologie pour les entreprises de ce secteur. Ainsi, l’approche qualitative développée précédemment a permis de proposer une intégration cohérente de la RV au sein d’un parcours œnotouristique d’une coopérative vitivinicole : la coopérative de la Cave Labastide (CVL). Dans la section suivante, l’implémentation de cette technologique en vue de répondre à des problématiques stratégiques de la coopérative, à savoir attirer et fidéliser une nouvelle clientèle, sera au centre de nos préoccupations. Après avoir expliqué l’approche méthodologique, nous détaillerons le contexte de notre recherche, puis une discussion sur la façon dont cette coopérative vitivinicole a intégré la technologie de RV dans un voyage œnotouristique sera présentée.
6. Méthodologie de l’étude de cas
Cette recherche qualitative accorde une grande importance à l’analyse détaillée du contexte dans lequel le phénomène se produit, plutôt qu’à l’identification d’une relation de cause à effet entre des variables. Dans cette approche, l’accent est mis sur la compréhension en profondeur d’un phénomène dans son contexte (social, culturel et historique). En adoptant cette approche, l’objectif est de décrire et d’interpréter les multiples influences et facteurs qui peuvent expliquer un phénomène donné, plutôt que de chercher une relation causale unique (Welch et al., 2011).
La méthode de théorisation utilisée pour cette recherche est ainsi relative au « sens pratique interprétatif » (Tableau 2, p. 8) et fondée sur l’idée que la réalité sociale ne peut être comprise qu’à travers l’interprétation du sens pratique des acteurs sociaux. Cette méthode s’appuie sur des techniques d’enquête telles que les entretiens, les observations participantes, l’étude de cas, l’analyse de documents, et l’analyse de discours afin de découvrir comment les acteurs sociaux perçoivent et interprètent leur environnement.
Tableau 2 - Méthode de théorisation de l’étude de cas instrumental
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Dimension |
Sens de l’interprétation |
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Orientation philosophique |
Interprétative/constructiviste |
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Nature du processus de recherche |
Recherche subjective de sens |
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Résultat de l’étude de cas |
Compréhension des expériences subjectives des acteurs |
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Force de l’étude de cas |
Description détaillée |
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Attitude à l’égard de la généralisation |
"Particularisation" et non-généralisation |
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Nature de la causalité |
Concept trop simpliste et déterministe |
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Rôle du contexte |
Description contextuelle nécessaire à la compréhension |
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Principal défenseur |
Robert E. Stake |
Source : adapté de Welch et al. (2011)
Dans ce cadre, la recherche que nous menons est fondée sur une étude de cas instrumental au sens de Stake (1995) qui vise à comprendre les conséquences organisationnelles de l’utilisation d’un outil ou d’une pratique spécifique. L’étude de cas instrumental permet d’observer et d’analyser un phénomène comme « un tout intact et intégré » (Gagnon, 2012). Le cas est considéré comme holiste (Yin, 2018). L’opérationnalisation de la méthode de l’étude de cas retenu est représentée dans le tableau suivant (Tableau 3, p. 9).
Tableau 3 - Opérationnalisation de la méthode de l’étude de cas dans la coopérative viticole de Labastide
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Population |
Sélection de l’étude de cas instrumental |
Sélection des informateurs de l’étude de cas |
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Coopératives vitivinicoles françaises |
Coopérative vitivinicole Labastide |
Directeur du marketing Directeur des ventes Directeur de la qualité Responsable des achats Responsable de l’œnotourisme Consommateurs |
Source : Auteurs
À l’instar de Hlady-Rispal (2002, p. 61), la présente recherche considère que le choix d’un cas peut aussi « susciter l’étonnement du chercheur face à un phénomène donné ». Dans notre situation, la redondance, tant dans la littérature scientifique que dans les médias, des études sur l’industrie œnotouristique et l’attention accrue des entreprises privées et des autorités publiques ont aiguisé notre curiosité et guidé nos choix.
7. L’œnotourisme virtuel à la lumière de la réalité
Dans le cadre d’un partenariat avec la Coopérative Vitivinicole Labastide (CVL) pour favoriser le développement d’un parcours œnotouristique, nous avons eu l’opportunité d’accompagner l’implémentation et l’utilisation de la RV en contexte réel. Le partenariat avec la CVL, débuté en octobre 2018, a permis d’adopter une approche longitudinale. La collecte de données a été réalisée sous forme d’observations participantes qui ont ponctué le processus de mise en œuvre de la RV au sein du parcours œnotouristique de la CVL. En plus de ces observations, des entretiens semi-structurés individuels avec des acteurs clés internes à l’organisation ont été menés. En adoptant un raisonnement abductif, l’analyse de ces entretiens nous a permis de développer une vision plus herméneutique de nos observations.
La CVL a été créée en 1949 sous le nom de Cave Coopérative des Coteaux de Gaillac et du Pays Cordais. Les services agricoles, le génie rural et la banque Crédit Agricole du Tarn ont participé au démarrage administratif et financier de la cave coopérative et ont voulu lui donner le statut de « cave pilote ». Cela concernait non seulement la vinification, mais aussi la commercialisation des vins en bouteille. La première vinification a eu lieu en 1951 : 80 coopérateurs ont contribué à une production de 13 000 hectolitres. En 1956, une annexe de la première cave est créée à Cunac. En 1959, la production de la cave passe à 30 000 hectolitres, soit les deux tiers de la production de l’Appellation d’Origine Contrôlée (AOC). Elle est rejointe successivement par deux caves coopératives : le Mousseux naturel de Gaillac en 1968, trop petit pour être économiquement viable, et celui du Pays Cordais en 1974, alors en difficulté. Cette dernière a apporté une centaine de coopérateurs et une cuverie de 20 000 hectolitres. En 1988, la cave comptait 641 adhérents, et sa cuverie avait un volume de 167 000 hectolitres. En 2016, il y avait une centaine de coopérateurs et une production d’environ 60 000 hectolitres.
La mission de la CVL est d’apporter des avantages à ses membres en termes de qualité de vie, de mobilisation d’outils durables et coopératifs ou encore de revenus. Ainsi, la CVL a pour vocation de fournir des services, de transformer et de commercialiser les produits des exploitations viticoles de ses membres afin de leur assurer un accès au marché. Dans ce contexte, les adhérents apportent l’intégralité de leur production à la CVL. Sa vocation est alors de valoriser les produits viticoles, de développer une image qualitative et de les vendre comme produits du terroir. Ces produits sont vendus directement aux consommateurs ou à des revendeurs. La CVL vend également ses produits en vrac comme matière première à des professionnels qui peuvent les transformer et les conditionner pour commercialiser les produits qu’ils ont élaborés. Évidemment, la première finalité de la CVL est économique. En tant que structure commerciale, elle doit répondre aux attentes du marché tout en assurant la commercialisation de l’ensemble de la production de ses membres. Enfin, la CVL contribue à la mise en valeur du patrimoine et du vignoble par l’entretien du paysage à travers la culture de la vigne et à travers une série de partenariats avec, par exemple, le Musée Toulouse-Lautrec, les communes de Labastide-de-Lévis ou d’Albi et de Cordes-sur-Ciel. Sur le plan social, la CVL vise à maintenir le plus grand nombre de vignerons engagés professionnellement sur les parcelles de vigne. Ils contribuent à la force du vignoble et de la coopérative. Du point de vue des technologies, la CVL assure des investissements matériels et humains pour garantir des produits de qualité, sains et authentiques, ainsi que le respect de l’environnement. Depuis 2015, la CVL a pris conscience de l’importance de l’œnotourisme et, ainsi, a développé son propre parcours œnotouristique (Tableau 4, p. 10). Cette expérience œnotouristique a intégré des outils technologiques au fil des ans comme l’utilisation des tablettes tactiles ou de QR code pour un accès facilité à l’information lors de la visite sur site.
Tableau 4 - Description du parcours œnotouristique de la coopérative
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Étapes |
Description |
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Le jardin du vignoble |
Découverte des différents cépages, ainsi que des techniques de taille. |
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La cave à vin |
Correspond à une salle vidéo offrant une immersion dans l’étape de vinification. L’objectif de cette démarche est de pallier son principal point faible : le fait que ses propres vignes soient éloignées de la cave. Une personnalisation est effectuée en fonction des attentes et des questions des visiteurs. |
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La ligne d’embouteillage |
Visualisation d’une ligne d’embouteillage par un aménagement spécifique donnant sur la ligne de production. |
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Le baril de chai |
Accompagnement à l’expérimentation au chai. Les odeurs de bois, l’aménagement des caves et la création d’un son et lumière accompagnent cette étape de l’apprentissage. |
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L’espace de dégustation |
Une dégustation de différents vins est proposée, ainsi que des explications sur les caractéristiques du vin. |
Source : Coopérative viticole Labastide
En se référant à la typologie de Pine et Gilmore (1999) adaptée au contexte de l’œnotourisme (Sigala et Robinson, 2019 ; Thanh et Kirova, 2018), trois types d’expériences sont proposés au sein du parcours œnotouristique de la coopérative (Tableau 4, p. 11) : éducative (1), esthétique (2) et d’évasion (3).
Tableau 4 - Application du marketing expérientiel à l’œnotourisme de la coopérative viticole Labastide
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Absorption |
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Participation passive |
Divertissement Concours de vins ; socialisation/réseautage sur le vin |
Éducation Accords mets-vins ; dégustation de vins ; expériences de vinification et de viticulture. (1) Le jardin du vignoble ; la cave à vin ; la chaîne d’embouteillage ; et le tonneau de chai. |
Participation active |
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Esthétique Expériences de dégustation ; tourisme de mariage. (2) La zone de dégustation. |
Évasion Détente, évasion dans le paysage ; spas viticoles. (3) Les barils de chai. |
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Immersion |
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Source : adapté de Sigala et Robinson (2019)
8. L’expérience digitale du client, une solution aux problèmes stratégiques
Afin d’obtenir une meilleure compréhension de ses clients et de développer une réponse appropriée à ses stratégies marketing et logistiques, la CVL a souhaité accroître l’utilisation des nouvelles technologies auprès des consommateurs selon un schéma préétabli (Tableau 5, p. 12) sur lequel les observations de notre étude de cas sont fondées.
Pour rappel, la CVL a trois enjeux stratégiques majeurs : renouveler et fidéliser sa clientèle, composée d’un noyau dur de 50 à 85 ans, avec davantage de services ; attirer une clientèle plus jeune ; valoriser sa démarche sociale et environnementale :
Deux tiers de nos clients au magasin ont plus de 65 ans ; plus de 15 % ont plus de 80 ans, et il est urgent de maintenir cette tranche d’âge. Rester dans une tranche d’âge de 50-55 ou 60-70 ans et attirer les jeunes. C’est le cas puisque de plus en plus de jeunes viennent au magasin, 7 à 8 % contre 1 % en 2010. Le parcours de visite attire toutes les générations avec la technologie mais pour les jeunes, il n’y a rien d’exceptionnel, mais ça permet déjà de ne pas perdre tout le monde à la place (Répondant 1).
Il faut noter qu’une des spécificités de la CVL est que la majorité des zones de production sont relativement éloignées du siège principal. Les domaines viticoles ont tous une présence numérique via le site internet de la coopérative et via une présence sur les réseaux sociaux.
Le développement de deux canaux de distribution – l’un physique via la coopérative et l’autre virtuel via internet – implique une nouvelle gestion de l’expérience client à travers une stratégie de développement d’une expérience digitale du client (DCX5). Une DCX comprend « toutes les interactions qu’un individu est susceptible d’avoir avec une marque/entreprise et sur tous les canaux de la marque, y compris un produit spécifique tel qu’une application » (Batat, 2018, p. 17). Considérer l’ensemble des interactions comme complémentaires et non alternatives implique la prise en compte de trois dimensions : (1) le client, qui dispose de connaissances particulières ; (2) la marque, qui doit pouvoir valoriser les caractéristiques saillantes de son positionnement (valeurs, histoire, savoir-faire, etc.) ; et (3) un environnement technologique multisensoriel, qui doit offrir une expérience intense et continue (Batat, 2018). Ainsi, quelles que soient les interactions que le client peut avoir avec un outil, un produit ou une plateforme technologique, elles doivent faire partie d’un ensemble cohérent en accord avec les objectifs stratégiques de l’entreprise.
Tableau 5 - Interdépendance entre les observations de la recherche et les phases de mise en œuvre de la RV
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Observations de la recherche |
Observation 1.1 : développement de l’idée et mise en œuvre de la technologie de RV |
Observation 1.2 : mise en œuvre, test et développement des ressources utilisées pour la RV |
Observation 1.3 : l’utilisation de la RV par les consommateurs |
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Période |
Octobre 2018 - mai 2019 |
Juin 2019 à mi-novembre 2019 |
Fin novembre 2019 |
Décembre 2019 - (...) |
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Phases de mise en œuvre de la RV |
Présentation de l’outil de RV et réflexion stratégique pour son intégration |
Conception de l’attraction des casques VR : enquête sur les ressources nécessaires (spécifications de l’établissement, conception de la vidéo à 360 degrés) |
Opérationnalisation de l’attraction du casque VR et lancement à la "Fête des primeurs". |
Rendre disponible l’attraction des casques VR |
Source : Auteurs
9. Le développement de ressources distinctives idoines
Dans le cadre de la mise en place de la RV, les points suivants, corrélativement à l’étude exploratoire relative aux attentes des Gen-Zers menée préalablement, ont été considérés : (1) cette technologie ne s’est pas encore totalement démocratisée auprès du public ; (2) ses caractéristiques renforcent le sentiment de téléprésence et d’immersion (Flavián et al., 2021 ; Kim et al., 2020 ; Loureiro et al, 2020) ; (3) le storytelling des vidéos à 360° est cohérent avec l’image de la coopérative et de ses producteurs, renforçant les caractéristiques principales du positionnement de la coopérative sur le marché ; (4) le choix d’outils technologiques de qualité et l’installation dans une salle adéquate pour optimiser la proposition d’une expérience immersive totale. Pour rendre opérationnelle cette nouvelle expérience de RV plusieurs ressources étaient nécessaires : les casques de RV, les ressources auxiliaires (casques audio, consommables) et les vidéos à 360°. Après avoir mené une analyse comparative des différents types de casques existants, le choix s’est porté sur le modèle « HTC Vive Focus », qui se distingue par ses capacités hautement techniques et sa portabilité. En termes de ressources auxiliaires, l’achat d’équipements supplémentaires, tels que des cartes de stockage et des écouteurs, a dû être effectué pour faciliter la gestion des casques et améliorer l’immersion des participants. De plus, des éléments d’hygiène, comme des masques jetables pour l’utilisation des casques de RV, ont également dû être considérés. Ainsi, ces achats ont été effectués en octobre 2019, pour un montant total de 2.163,73 euros. Concernant la réalisation des vidéos, un contrat a été signé avec une école audiovisuelle pour l’élaboration de deux vidéos à 360°, tournées pendant la période des vendanges, pour un montant de 2 517,50 euros. Chacune des deux vidéos à 360° a son propre storytelling en accord avec le positionnement de la CVL. Une vidéo met en avant un producteur spécialisé dans une démarche environnementale, tandis que la seconde vidéo porte sur un producteur plus traditionnel qui soutient une orientation authentique des traditions viticoles gaillacoises. Le budget total pour la mise en œuvre de ce nouveau contexte expérientiel est de 4 681,23 euros.
10. Subjectivité, limites et solutions quant à l’utilisation de la réalité virtuelle
Au cours de la phase de réflexion stratégique, des inquiétudes ont émergé au sein de l’équipe de direction de la CVL concernant les dépenses financières et la facilité d’utilisation des casques de RV :
Avant tout, le coût de l’équipement est très élevé, on peut parler de plusieurs milliers d’euros. Si nous avons deux casques, le problème est de savoir comment les utiliser à bon escient. Comment les mettre en œuvre dans le circuit touristique ? Parce que ça pose le problème de la performance ; deux casques ne suffisent pas, il faut regarder une vidéo de 5 minutes par personne et ensuite le nettoyer constamment à cause de la situation sanitaire actuelle (Répondant 2).
Cette technologie étant nouvelle, aux yeux d’un public non spécialiste, cela peut expliquer l’émergence de représentations sociales. Aux yeux de non-experts, les perceptions correspondent souvent peu à la réalité. Dans un premier temps, les non-experts, ici les managers de la CVL, ont pensé que cette technologie n’était pas accessible car ils estimaient que les moyens matériels et financiers étaient importants. Tout au long d’un travail d’observation participatif, l’enjeu a été d’accompagner les dirigeants pour remédier à ces représentations erronées en les informant sur la pluralité des produits existants, en choisissant des ressources matérielles en adéquation avec leur stratégie de développement expérientielle et en démontrant que le coût était relativement accessible. Une fois ce cap franchi, la réflexion sur les moyens d’opérationnalisation et de mise en œuvre a été rapidement élaborée.
Parallèlement, l’utilisation de cette nouvelle technologie a nécessité un accompagnement des utilisateurs tout au long de l’expérience qui a conduit à la création d’un protocole facilitant l’utilisation des casques de RV en quasi-autonomie. Cette expérience doit donc être considérée comme une « production dirigée » qui, selon Dujarier (2014), consiste en l’externalisation par l’entreprise de tâches simplifiées partiellement automatisées et prises en charge par le consommateur et limitant l’intervention de personnes encadrantes. La possibilité d’envisager l’utilisation de la RV dans une autoproduction dirigée a été, dans notre cas, renforcée par la crise de la COVID-19, notamment en lien avec l’obligation de maintenir une distanciation sociale : « En outre, les conditions sanitaires modernes nous ont imposé la restriction de l’entrée de personnes extérieures aux services dans les lieux de vinification. Les nouvelles technologies (caméras, réalité virtuelle) sont très utiles dans ce cas » (Répondant 3).
La principale limite pressentie par l’équipe de direction est cependant similaire à celle perçue par les Gen-Zers. Il concerne l’absence de dégustation de vins : « Matériellement, la RV ne permet pas au client de développer tous ses sens. Seuls deux sont plus ou moins utilisés, la vue et l’ouïe » (GL). Les mêmes problèmes se posent pour la vente de vin sur Internet (Stenger, 2006). Le vin étant considéré comme un bien d’expérience (Gallen et Cases, 2007), c’est-à-dire que ses caractéristiques sont évaluées lors de sa consommation, des solutions organisationnelles devront être trouvées pour répondre à cette limite. L’absence de dégustation lors de la vente à distance renforce les deux dimensions d’un risque perçu de la consommation alimentaire : le risque psychologique, c’est-à-dire l’inadéquation entre le produit et l’image de soi du consommateur, et le risque de performance, c’est-à-dire un décalage entre les attentes gustatives et la dégustation réelle (Gallen et Cases, 2007).
11. Conclusion et préconisations managériales
Comprendre l’impact de l’utilisation de la RV dans l’œnotourisme est pertinent car l’industrie vitivinicole est confrontée à une concurrence internationale qui s’accroît. Comprendre le processus de mise en œuvre de la RV dans l’industrie de l’œnotourisme en prenant en compte les attentes d’une génération d’individus considérés comme les vecteurs de nouvelles orientations fondamentales du marketing est un programme de recherche considérable. Notre recherche tente de fournir modestement des informations sur la compréhension de l’utilisation, la planification et la mise en œuvre de la technologie de RV par une cohorte générationnelle, les Gen-Zers, et au sein d’une coopérative vinicole afin d’enrichir et d’améliorer les expériences œnotouristiques.
La RV apparaît comme un moyen de renouveler le contexte expérientiel, apportant une nouvelle façon de vivre l’œnotourisme. L’effet d’immersion et de téléprésence procure aux consommateurs un sentiment singulier et original qui correspond à une expérience de divertissement. Ainsi, en accord avec les résultats de Thanh et Kirova (2018), ce type d’expérience est l’un des plus populaires parmi les consommateurs de l’œnotourisme. Néanmoins, pour optimiser son efficacité sur le long terme, la mise en place de cet outil doit être pensée en fonction de trois dimensions : le client, la marque et un environnement technologique adapté.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la RV, notre recherche a également mis en évidence le manque de connaissances et d’équipements technologiques au sein de l’industrie vitivinicole. Le marché des casques de RV peine à se développer dans cette industrie pour deux raisons principales : le manque de connaissances sur son utilisation et les perceptions erronées. Par conséquent, l’adoption de cette technologie semble être conditionnée à une meilleure connaissance de la technologie et de son utilisation. Cependant, malgré un faible taux d’équipement, la mise en œuvre de la RV est perçue positivement par la coopérative viticole, principalement parce que les consommateurs l’associent à une perception positive.
Bien que la RV soit essentielle à un développement contemporain de l’œnotourisme, elle n’est pas un remède universel. L’utilisation des casques de RV permet un transfert virtuel et emmène virtuellement les consommateurs sur le lieu de production (par exemple, dans les vignobles), renforçant ainsi le caractère immersif de la visite. Néanmoins, la RV doit être utilisée de manière raisonnable. En fait, la RV pourrait potentiellement diminuer la nature positive de l’expérience si elle est utilisée comme une alternative totale à la visite. Les consommateurs doivent savoir qu’ils peuvent réaliser la visite réelle, ce qui peut compenser le principal obstacle à l’utilisation de la RV : l’absence de dégustation. Cette dégustation est considérée soit comme un apprentissage, soit comme une introduction (Lo Monaco et Guimelli, 2008 ; Amine et Lacoeuilhe, 2007). La RV ne peut pas offrir directement cette expérience. Cependant, il est assez simple d’imaginer une solution à ce problème. Wen et Leung (2021) ont démontré l’influence positive du voyage œnotouristique virtuel avec dégustation sur l’intention d’achat, mais pas en conditions réelles. La remise d’échantillons ou de bouteilles de vin avant l’expérience RV permettrait d’intégrer la phase de dégustation dans l’expérience. Ainsi, le contenu de la RV pourrait être enrichi par la diffusion de contenu éducatif sur la dégustation du vin, l’apprentissage des méthodes de production ou même l’histoire du vignoble, renforçant ainsi l’expérience de consommation. D’un point de vue managérial, les aspects communautaires semblent faiblement exploités par la filière vitivinicole. Pourtant, il s’agit d’une attente des consommateurs d’aujourd’hui (Lorey et Albouy, 2015). Le développement des aspects communautaires donnerait aux producteurs l’opportunité de bénéficier d’une plus grande visibilité et d’une plus forte notoriété.
Les résultats présentés dans cette recherche doivent être considérés comme des résultats préliminaires qu’il sera nécessaire de renforcer. Concernant la génération étudiée, les Gen-Zers, la RV répond à leurs attentes expérientielles. En lien avec leurs spécificités, cette technologie doit mettre l’accent sur un storytelling, un contenu réaliste et authentique et un mode d’apprentissage ludique et autonome. Pour autant, cette recherche devra être prolongée par des études complémentaires de la même génération sur des zones géographiques différentes et auprès de générations autres que celle des Gen-Zers afin d’envisager une généralisation des résultats. Au niveau des expériences spécifiques à l’œnotourisme (Sigala et Robinson, 2019 ; Thanh et Kirova, 2018), le mélange des expériences d’évasion, d’éducation et de divertissement via la RV engendre une perception positive du domaine vitivinicole et des produits vendus. Néanmoins, l’absence de dégustation de vin reste un problème majeur. Une piste envisagée de réponse à cette problématique consiste à optimiser la logistique de distribution du vin via la création d’un « nouveau contenant » : des fioles de dégustation de vins préalablement commandées par les consommateurs pour effectuer l’expérience de dégustation de vin en même temps que l’expérience de RV.
Au niveau de la coopérative, compte tenu de la spécificité de l’organisation, il est nécessaire de vaincre les préjugés pour recourir à la technologique de RV. Plus précisément, il existe des incompréhensions et des peurs quant à l’implémentation de la RV au sein d’un parcours œnotouristique. Cette perception de la complexité d’utilisation de la technologie et la surestimation du coût d’investissement nécessite une approche explicative technique et pédagogique de l’environnement technologique. Ces préjugés levés, au niveau stratégique cette technologie permet de développer une stratégie de différenciation à bas coûts permettant l’ouverture de nouveaux marchés et le développement d’une demande nouvelle. Pour finir, l’utilisation de la RV doit être complémentaire et non en remplacement d’un parcours œnotouristique. L’expérience virtuelle donne envie aux utilisateurs de se déplacer physiquement sur les lieux pour vivre une expérience réelle. Il est donc essentiel de proposer une expérience virtuelle qui correspond à la réalité de ce qui pourra être vécu par le consommateur.
Au sein de notre programme de recherche, ce projet a pour ambition d’ouvrir le champ d’une étude intergénérationnelle pour mieux comprendre les éventuelles différences dans la conception et le vécu expérientiel de la technologie des casques de RV. Également, notre projet prévoit de continuer cette implémentation de la technologique au sein d’autres organisations de statuts divers et de réfléchir sur les possibles exploitations en vue de permettre la dégustation de produits.
