Au-delà de la binarité Nord-Sud : la neutralité sociale comme éthique de la marchandise dans la mondialisation

DOI : 10.56078/cahier-du-crini.207

Résumés

La marchandise est un attribut culturel de certains objets qui ont la propriété d’être échangeables ; elle a une trajectoire sociale qui consiste en son identification comme telle ou en son exclusion, d’où sa biographie sociale. Cette vie sociale influence l’équilibre des sociétés. À l’ère de la globalisation, traduisant une interconnexion des différentes sociétés, les pratiques commerciales tendent à occulter cette dimension, subvertissent les modes de vie et génèrent de la violence dans les zones de production et de consommation. La globalisation fonctionne sur une conception essentiellement économique d’un monde, à la fois bipolaire et dichotomique, qui se révèle erronée de nos jours. Cette approche propose une nouvelle compréhension de la socialisation à l’échelle du monde et en tire ses conséquences éthiques : elle essaie de comprendre la mondialisation comme une dynamique extra-sociale qui prend sa source dans l’externalisation de la violence sociale. Parce que l’éthique est devenue une action politique directe, la neutralité sociale est ici défendue comme le fondement éthique de la marchandise.

The commodity is a cultural attribute of some things that have the property of being exchangeable; it has a social trajectory that consists of its election as such or of its exclusion, hence the thesis of its social life. This social life influences the stability of societies. In the era of globalization, reflecting the interconnection of different societies, practices around the commodity tend to obscure this dimension, undermine lifestyles, and generate violence in both production and consumption areas. Globalization is essentially based on an economic conception of the world, at once bipolar and dichotomous, which is proving to be erroneous today. This paper proposes a new understanding of socialization at the global scale and its ethical implications: it argues that world socialization is an extra-social dynamic that has its source in the externalization of social violence. Because ethics has become a direct political action, social neutrality is defended here as the ethical principle of the commodity.

Plan

Texte

La catastrophe du Rana Plaza en avril 2013, c’est-à-dire l’effondrement de l’usine de confection de vêtements pour de grandes marques européennes de la mode, ayant causé plus d’un millier de morts au Bangladesh, avait été un signal d’alarme pour une veille internationale sur les conditions sociales de la production des marchandises dans l’économie internationalisée. Non seulement elle venait démontrer l’échec des dispositifs juridiques et institutionnels censés protéger les sociétés des formes de violence qui peuvent naître des relations économiques à l’échelle extranationale, mais elle traduisait aussi l’incapacité des États à réguler l’économie globalisée. En effet, depuis l’invention, au Moyen Âge, des instruments de crédit comme le transfert de dette et la lettre de change, le commerce international s’est intensifié. Ces instruments ont institué un langage commun entre les sociétés marchandes et facilité la circulation des biens marchands dans le monde, suscitant de nouveaux fantasmes et l’émergence de nouvelles classes. Ce succès a fait naître des modes d’évaluation de ces relations marchandes en termes de balance avec la formation des États-nations, et a conduit à une représentation binaire et permanente du monde fondée sur la compétition marchande. L’image que restitue la balance commerciale a contribué, avec des théories de la socialisation, à une classification des sociétés sur la base de leur progrès matériel.

Cette conception du monde a été peu remise en cause d’autant plus qu’un pacifisme relatif a prévalu dans le nouvel ordre établi sur cette classification. Elle identifie des pays pauvres et sous-développés qui sont localisés au « sud » et des pays riches et développés situés au « nord ». La dichotomie Nord-Sud a résulté de cet état de fait. Elle est née d’une comparaison qui prend comme référence les réalités extérieures considérées comme l’anti-modèle (Jacquot 181). Aujourd’hui, dans la conception dominante, il y a, d’un côté, les pays compétitifs et attractifs et, d’autre part, ceux qui ne le sont pas. Toutefois, il demeure que c’est le contact avec l’autre qui contribue au façonnement de l’identité des sociétés, la conception qu’elles se font d’elles-mêmes. Si la compétitivité et l’attractivité sont devenues des points essentiels des politiques économiques en Occident, c’est, avant tout, parce que le contact avec les autres cultures l’a conduit à façonner une certaine vision de lui-même. Cependant, l’éclatement de la violence à grande échelle depuis les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis a remis en cause cette conception d’un monde bipolaire et dichotomique. Jadis perçue comme étant l’apanage des pays pauvres, l’irruption de la menace terroriste dans les pays du nord (Appadurai 2007, 55) met fin à cette division et invite à repenser la cohabitation mondiale. Avec la souffrance au travail, pathologie sociale dans les pays du « nord » qui reflète une certaine violence de l’économie, les fondements de cette division peuvent être remis en cause. En outre, la crise sanitaire causée par la maladie à coronavirus a placé à l’ordre du jour des agendas politiques la renationalisation des économies, témoignant d’un échec de la globalisation. Ces crises indiquent que les relations internationales doivent être repensées. Pour ce faire, la brèche économique présente plus d’avantages parce qu’elle reste un objet décisif des rapprochements entre les civilisations à l’échelle du monde.

Dans l’Histoire, les relations économiques, à l’échelle internationale, ont majoritairement pris pour objet les biens marchands. Depuis plus de deux millénaires, les bateaux marins traversaient l’Océan Indien ou la Méditerranée, chargés de marchandises pour retourner dans leur société de départ avec d’autres objets marchands. La nouveauté de nos jours c’est qu’il est même devenu possible de faire produire hors de chez soi, c’est-à-dire chez « les autres », les besoins de sa société ou de les produire chez soi avec des matériaux venant de chez « les autres », sans que cela ne suscite des controverses : la libéralisation de l’économie, à partir des années 90, a facilité la mobilité des entreprises, devenues des multinationales, et celle des capitaux : » On considère qu’elles contrôlent les deux tiers du commerce international, dont la moitié environ est constituée d’exportations intragroupes entre maisons-mères et filiales ou entre deux filiales d’un même groupe. » (Boltanski, Chiapello 19) Cet état de fait accentue la dépendance des sociétés qui, fortement interconnectées, ne peuvent se passer les unes des autres même si les mythes de nations puissantes demeurent encore. Les crises multiples que traversent les sociétés indiquent, sur ce plan, que les relations économiques ne se limitent pas à des transferts de marchandises, loin s’en faut : elles peuvent véhiculer des agents pathogènes, comme ce fut le cas dès le XIVe siècle avec la peste noire et récemment avec la Covid-19, et des modes de vie corrélés aux objets marchands. Si la marchandise est la qualité d’un objet échangeable, on peut donc penser qu’il y a des dynamiques qui lui sont corrélées. En ce sens, l’échange de marchandises, même au-delà des frontières, influence la vie sociale locale. Sa production et sa consommation peuvent aussi générer de nouvelles conditions sociales de vie. Elle est l’objet de marquages culturels qui ne sont pas interchangeables et qui ne sont pas sans influencer tout l’édifice culturel et social. Dans cette perspective, la marchandise, dans la mesure où elle circule entre les sociétés, peut être pensée de façon normative parce qu’elle participe à un projet de société. Cette affirmation est d’autant plus pertinente que de nos jours, elle est devenue, dans certaines sociétés du monde, une astreinte physique (la vente des organes, la gestation pour autrui, etc.). Tout comme la démocratie a favorisé une certaine cohabitation des peuples, une norme de la marchandise peut contribuer à repenser la cohabitation économique des groupes sociaux.

C’est le but poursuivi par cette réflexion : le problème qu’elle pose et veut tenter de résoudre est celui de savoir comment fonder une normativité de la marchandise pour sortir de la globalisation et revenir à une mondialisation pacifique. En d’autres termes, peut-on penser la marchandise sur un plan éthique et quelles pratiques pourraient en découler ? Pour lever toute équivoque, il faut noter que dans la langue française, les termes mondialisation et globalisation ont une signification différente. La mondialisation est le processus de production d’une société à l’échelle du monde ; c’est la conscience d’un niveau d’action qui dépasse le cadre local. Cette conscience devient plus aiguë avec la globalisation qui dénote l’intensification des relations économiques entre les États1. L’hypothèse de recherche est que, dans une mondialisation réussie, la marchandise doit permettre de tenir hors des sociétés la violence qui pourrait les détruire ; et la neutralité sociale peut encadrer les actions qui prennent pour objet les biens marchands. Cette approche s’inscrit dans le champ de l’anthropologie réflexive et empruntera ses ressources aux ethnographies produites sur les questions de l’économie et de la mondialisation, et à l’archéologie, discipline propre de l’histoire qui traite des objets. Trois lignes de force constitueront la matrice de notre développement : 1) en quoi la violence globale est-elle l’expression de la crise des conceptions du social à l’échelle mondiale ? 2) Comment comprendre la socialisation mondiale à partir de l’action de la violence agitant les sociétés contemporaines ? 3) En quoi la neutralité sociale peut-elle fonder une normativité de la marchandise et introduire de nouvelles pratiques dans notre contexte actuel ?

1.  La crise de la globalisation comme mécompréhension du social à l’échelle mondiale

L’idée que la marchandise possède une vie sociale peut être ramenée aux travaux de Marx. Bien que marginale dans ses écrits et liée à son cadre d’analyse restreint qu’est la société industrielle capitaliste, cette réalité se perçoit au sein de nombreuses sociétés. Avant tout, la marchandise se définit comme un objet qui se distingue des autres par son « échangeabilité » (Appadurai 2020, 28) ; elle peut s’échanger comme n’importe quelle autre chose par un lien d’équivalence. Pour autant, une chose peut cesser d’être une marchandise si elle perd cette propriété qui, entre autres, est déterminée par le système de signification et les normes. En outre, on retrouve même dans certaines sociétés une hiérarchie des choses déterminant cette propriété. C’est ce que Paul Bohannan a tenté de démontrer à travers une ethnographie économique des Tiv du Nigéria précolonial : on y découvre des sphères comprenant des objets spécifiques (Bohannan 492). La qualité de marchandise s’établit donc au terme d’une dialectique où interviennent plusieurs facteurs. C’est compte tenu de tous ces aspects qu’Igor Kopytoff a suggéré de penser la marchandise comme un « processus » qui constitue sa vie sociale (Appadurai 2020, 99). La vie sociale de la marchandise se traduit donc par la trajectoire d’un objet en tant que bien échangeable : cela implique, à la fois, sa production, sa circulation et sa réception (ou consommation au sens moderne). En effet, les savoirs et savoir-faire déployés durant la production peuvent déterminer le statut de marchandise tout comme l’usage qui en est fait, en dernier ressort, au sein de la société. Dans sa dynamique, la marchandise peut ensuite générer des contacts entre des espaces et des groupes sociaux éloignés. De fait, c’est la marchandise qui a été l’un des principaux agents de la mondialisation, mouvement aussi ancien que les sociétés humaines. Elle a contribué à façonner la structure des sociétés en irriguant la richesse en leur sein. C’est ce que soulignait Colin Renfrew en affirmant que la marchandise a joué un rôle central dans les changements fondamentaux survenus très tôt dans la vie sociale humaine, notamment, le passage de sociétés indifférenciées aux premières sociétés avec État (Appadurai 2020, 54).

Dans le processus de la mondialisation, la marchandise a joué un rôle prépondérant parce qu’elle circule avec des personnes et des idéaux ; ces personnes sont obligées de parler le même langage pour réaliser les transactions. Le commerce à longue distance a été l’un des canaux par lesquels de nombreuses civilisations ont tissé des liens durables en adoptant des valeurs communes : c’est le cas de l’islam en Afrique médiévale. Il s’y développa comme un ensemble de normes et de valeurs partagées qui garantissaient, en retour, de bonnes pratiques commerciales (Fauvelle 75). En Europe également, les marchands-banquiers italiens qui étaient les principaux acteurs du grand commerce, s’attiraient des sanctions de l’Église en utilisant les « langues vulgaires », dont l’apprentissage était nécessaire pour leurs activités (Le Goff 109). L’échange commercial induit donc un rapprochement culturel qui garantit son bon fonctionnement. La raison peut être le fait qu’il drainait des biens qui n’existaient pas dans les sociétés de réception. Du sel au textile en passant par les céréales et les métaux précieux, les produits initialement échangés dans le grand commerce répondaient à la nécessité ; la rivalité et la concurrence étaient secondaires dans ces relations commerciales. En d’autres termes, il y avait une sorte de complémentarité économique dans la diversité culturelle (Fauvelle 9).

Pourtant, ces différences, dans les tentatives de compréhension de la mondialisation, ont été interprétées sous des principes puristes et hiérarchisants qui n’ont pas toujours favorisé un pacifisme et une cohabitation des systèmes culturels. En effet, les cultures humaines jouent un rôle d’organisation des environnements naturel et social de la collectivité. Depuis l’invention des « barbares » jusqu’aux « sauvages » en passant par celle des « cafres » ou des « païens », les sociétés ont toujours opéré des classifications entre elles pour se positionner dans la nature et dans le théâtre mondial des sociétés. La perspective dualiste revient régulièrement au sein de nombreuses sociétés. Si le dualisme apparaît comme un mode de représentation du « soi » à partir des « autres », il peut occulter les autres aspects bénéfiques de la relation avec l’altérité. Quand il devient dichotomique, il suscite des actions qui peuvent troubler la cohabitation. C’est en Occident, au XVIIIe siècle, que des critères permanents ont fait leur apparition et modelé un monde bipolaire qui persiste encore. Ils instituent, d’une part, l’« Ouest » qui est l’espace géographique de la Raison, des Lumières, du Progrès, de la Liberté ou de la Démocratie, etc. ; et d’autre part, le bloc de l’« Est » qui est celui de l’oppression, de la dictature, etc. Le Tiers-Monde, lui, désigne ces pays qui ne sont pas classifiables suivant ces règles. De nos jours, les données archéologiques et ethnographiques2 ont battu en brèche cette représentation qui continue de générer des conséquences néfastes sur certaines sociétés, dont la guerre aux portes de l’Europe et dans les zones reculées du monde sous l’appellation de la « violence libérale »3.

De plus, cette perception du monde en deux blocs (voire trois) a été renforcée par l’intensification du commerce mondial dès le bas Moyen Âge. Après une longue période de stagnation de son développement monétaire, l’Europe a accumulé des métaux précieux importés du commerce au loin qui révolutionneront son économie. En effet, les marchands-banquiers italiens, devenus les commissionnaires de l’Europe et de l’Orient grâce aux relations stratégiques qu’ils avaient réussi à bâtir en Méditerranée (Bautier 13), ont établi des systèmes de crédit autonomes qui allaient leur permettre de dominer le commerce mondial. Grâce à ce progrès, l’Europe a construit des institutions qui ont favorisé son essor économique (notamment les foires, les Bourses et les banques). La frappe de l’or drainé depuis les zones lointaines du monde, jadis interrompue depuis l’époque mérovingienne, sera reprise et favorisera l’expansion de l’économie européenne (Bautier 18). Elle réussira ainsi à étendre son influence au-delà de ses frontières aux dépens de nombreuses autres sociétés qui, dès lors, deviendront « sous-développées », à cause de la balance des paiements effectuée en pierres précieuses, qui lui était toujours favorable. En outre, cet essor conduira à annexer les autres économies à la sienne. De nombreuses autres sociétés, bien avant l’Europe, avaient inventé ces instruments de crédit mais les mêmes conséquences n’avaient pas été observées. Avec la globalisation, ce processus semblait achevé. Le développement des moyens de transport qui a accompagné ce processus a engendré un domaine autonome du savoir, c’est-à-dire la logistique dont la pensée contrôle le monde, selon Mathieu Quet : « tout est affaire de gestion de flux. » (Quet 12) D’abord liée à l’activité militaire, l’objectif de la logistique, au-delà de l’acheminement des biens et des personnes, est de faire du gain. Elle n’est donc pas différente de la logique capitaliste. De nos jours, la compétitivité est devenue l’expression de cette bipolarité. Cette concurrence place les « autres » dans la position de zones de profit, occultant cette interdépendance qui existe encore entre les différentes sociétés.

En somme, la conception dualiste du monde peut être une nécessité pour chaque société afin de se positionner dans le monde si elle ne veut pas se perdre dans la confusion. Le dualisme est l’affirmation de deux éléments qui ne s’opposent pas forcément. Avec l’intensification commerciale, dès le bas Moyen Âge, une conception binaire et dichotomique du monde sera avancée pour façonner la globalisation. Au-delà de ces faits, la théorie sociale s’est peu occupée de la compréhension du rapprochement des sociétés à l’échelle du monde. Quand l’anthropologie se saisissait de la question, elle allait (par l’effet inverse) consolider l’idée selon laquelle il y avait des sociétés archaïques qui méritaient d’être étudiées. Les premières théories avancées pour expliquer le rapprochement des sociétés, dont le diffusionnisme, ont contribué à renforcer cette conception bipolaire du monde. De nombreuses découvertes archéologiques ont démenti l’idée que des techniques auraient vu le jour dans un point du monde pour se diffuser lentement vers d’autres régions (Fauvelle 25 ; Appadurai 2020, 185). Les violences de la guerre, des mouvements identitaires, entre autres, laissant peu de sociétés intactes, remettent en cause cette conception dominante. Elles expriment une crise des représentations sur la mondialisation, mais également des pratiques qui lui sont liées. Pour la suite de ce développement, il s’agira de reconcevoir la socialisation mondiale (ce que la sociologie qualifierait de macrosociologie).

2.  La mondialisation est-elle une externalisation de la violence sociale ? : essai sur une théorie sociale de la mondialisation

Si l’on part du constat selon lequel la marchandise est un agent du mouvement des sociétés humaines vers des espaces géographiques étrangers aux leurs et de leurs rapprochements, il est possible de trouver une logique commune entre l’activité marchande et la socialisation à l’échelle du monde. Cependant, la conception ordinaire de la marchandise qui est celle d’une chose « muette », conception dominante dans la tradition occidentale (Appadurai 2020, 17), peut contribuer à éluder cette possibilité théorique. Le marché des organes et des capacités reproductives humaines, développé dans certains pays, peut mettre un terme à cette idée parce qu’il indique que la marchandise obéit à une dynamique qui est, avant tout, celle de la violence associée à la précarité. Sur le plan collectif, on peut soutenir que pour éviter d’être sous le joug de la rareté économique, des formes d’échange entre les sociétés, dont le commerce, ont été inventées pour faciliter l’accès aux ressources vitales. De ce fait, il est possible de nouer la mondialisation et l’échange marchand au phénomène de la violence.

De fait, les transferts d’objets entre les personnes et à l’échelle des groupes sociaux peuvent passer par de nombreux canaux. Les guerres, les pillages et les rapines en sont des modalités. Ce sont des formes de relations sociales qui mettent en jeu la violence. Elle demeure la réalité humaine qui peut détruire tout l’édifice social ; la « violence acquisitive » est la spécificité des conflits qui naissent autour de l’accès aux objets (Aglietta, André 42). Elle génère, à sa suite, des représailles, s’il n’y a pas de moyens efficaces pour l’endiguer. Hiérarchiser les biens et définir les modalités d’accès à certains objets ont été, dans l’histoire sociale, des solutions pour y remédier. Le don, par exemple, permet la circulation des objets dans un environnement social où le partage est une valeur capitale. C’est pourquoi, au Moyen Âge, l’échange intéressé était prohibé dans les sociétés chrétiennes au sein desquelles la charité était largement défendue : il propageait des vices qui peuvent générer des conflits au sein des communautés. La marchandise joue également ce rôle. Elle est une catégorie de biens accessibles contre un objet de valeur équivalente (généralement la monnaie) sur une place dédiée à ce type de transactions : le marché. Par le commerce, donc, l’accès à certains objets est pacifique ; il est, historiquement, l’un des principaux moyens des rapprochements intercivilisationnels. Pour pallier la nécessité, elle-même pouvant conduire à des conflits d’accaparement du fait de la rareté, il faut aller vers les sociétés qui disposent des ressources nécessaires. C’est de là que nous tenons la thèse selon laquelle la mondialisation est une dynamique qui prend sa source dans l’externalisation de la violence sociale. En effet, c’est la volonté d’éviter la ruine de l’ordre social qui a poussé les sociétés, sous diverses formes d’organisation (royaumes, empires ou État), à parcourir des terres lointaines pour acquérir des marchandises et parfois neutraliser les sociétés qui représentaient des menaces pour elles, comme cela s’observe dans le théâtre de l’Histoire.

Si l’idée que le recours à la violence peut contribuer à tisser les relations et les institutions sociales n’est pas nouvelle, en revanche, dans la plupart des théories dominantes où elle intervient, la violence précède toujours les institutions et les relations sociales (Graeber 2014, 165). Dès les débuts de la tradition scientifique occidentale, la violence inhérente au désir humain était considérée comme la source du corps politique ; la diversité des points de vue dans le débat se fondait généralement sur l’organisation du corps politique. C’est ainsi que dans la philosophie ancienne, le problème de l’association humaine concernait essentiellement la forme idéale de gouvernement de la Cité4. Le postulat était que, par leurs désirs illimités, les hommes se mettent en collectivité pour mieux assurer leur réalisation5. Cette association reste cependant encline au chaos qui peut naître, à tout moment, des chocs des désirs dans leurs poursuites individuelles. La loi devait être érigée pour forger les mœurs et l’élection d’un souverain visant à la garantir ; les citoyens, eux, devaient être éduqués au respect de la loi, soutenait Socrate selon Platon. C’est donc la violence potentielle du choc des désirs qui conduirait à l’association. La philosophie politique moderne a également repris cette idée pour justifier la société étatique en attribuant au désir des objets divers (Hobbes, Rousseau, Locke, etc.). Le souverain intervient comme le garant de l’ordre, en mettant fin à un « état de nature » fait de violence, à cause du conflit des désirs individuels. La théorie sociale contemporaine n’a pas non plus abandonné cette vision des relations sociales comme naissant d’un désordre primitif. La théorie de la reconnaissance d’Axel Honneth, par exemple, place le désir de reconnaissance au cœur d’un conflit qui conduit à la constitution de la subjectivité et à la formation des institutions sociales6. Il est intéressant de remarquer qu’à la question de savoir comment les institutions sociales se constituent sous l’effet de la violence, il y a toujours une référence à l’arbitraire d’une norme. Toutes les théories de la hiérarchie partent effectivement de ce désordre initial, comme le suggérait David Graeber (Graeber 2014, 46). Cependant, cette vision ne restitue pas, dans sa totalité, le mécanisme de l’association humaine et, moins encore, sa dynamique mondiale.

L’idée défendue ici est, qu’à l’échelle de la société, il n’y a pas de violence sans association ; en d’autres termes, la socialisation précède la violence. Et c’est le désir de réguler cette violence qui conduit à l’établissement des institutions (la famille, disons-nous, est la première des institutions de la société). Les travaux de René Girard sont particulièrement éclairants sur ce sujet en interrogeant les institutions religieuses, en tant que premiers modes d’organisation des sociétés, pour expliciter les mécanismes du social (Girard 324). Selon René Girard, « les institutions sont issues de la violence du désir humain et leur action normalisatrice sur ce désir provient de leur extériorité vis-à-vis du choc des désirs qui se contrarient les uns et les autres » (Aglietta, Orléan 39). En effet, les institutions sociales sont le produit d’une violence, la violence essentielle, qui conduit à des mécanismes d’extériorisation de cette violence sous l’espèce d’un coupable, la victime émissaire dont l’expulsion institue un nouvel ordre. Cet ordre n’est efficace que parce la victime est tenue à l’extérieur de la communauté. Toute transgression réintroduit la violence au sein de la société. Il est aussi efficace pour autant que la vérité du récit fondateur reste méconnue par l’ensemble du corps social. En d’autres termes, pour tenir la violence hors de l’espace collectif, les activités susceptibles de la générer doivent s’opérer hors de la collectivité ou être prohibées, d’où le rôle des institutions sociales. C’est ce qui peut justifier que l’échange marchand, dans les périodes précédentes de l’histoire, se soit majoritairement développé hors des frontières sociales. Les zones de franchises et les comptoirs indépendants ont été les premiers espaces de ce commerce entre les sociétés. Avec l’évolution des sociétés, de nombreux instruments de crédit, dont le change, ont été créés pour faciliter l’échange. Si l’institution perd sa propriété d’étrangeté, elle échoue à réguler la violence.

En résumé, c’est dans l’optique de tenir la violence à la lisière de la société que les groupes humains vont à la rencontre les uns des autres. Les modalités ont beaucoup évolué dans l’histoire. Le développement du commerce international s’inscrit sans doute dans cette dynamique. Il est une grande innovation des peuples pour satisfaire à leurs besoins sans recourir à la violence acquisitive7. Paradoxalement, l’échange marchand expose cependant à de nouveaux phénomènes de violence qui ne laissent indifférents aucune société. Le repli identitaire et les formes de violence qui font le fil de l’actualité sapent ces innovations, qui ont contribué pour beaucoup à la stabilité sociale dans de nombreux pays. C’est la raison pour laquelle nous pensons que le commerce international doit être repensé. La circulation des objets marchands à travers les sociétés mondiales peut contribuer à fragmenter ces dernières, voire à accélérer des processus de désintégration. Elle peut accélérer la différenciation sociale en faisant émerger les classes sociales qui en tirent profit ; les objets marchands peuvent aussi introduire de nouvelles symboliques qui engendrent la confusion au sein de la société : l’extension du marché de la mode a suscité un conservatisme dans certaines régions, créant donc un conflit social. Colin Renfrew écrivait sans ambages que le commerce est une action à distance (Renfrew, Appadurai 2020, 3) : il peut influencer un environnement social lointain par le truchement des objets marchands. C’est le droit qui a vocation de contenir les conflits en régulant les actions. Si le commerce reste difficile à réguler de nos jours, on pourrait tabler sur d’autres formes de mobilisation.

3.  La neutralité sociale comme fondement d’une éthique de la marchandise

Les biens marchands, dans leurs trajectoires sociales, peuvent contribuer à rapprocher de nombreuses parties du monde entre elles et favoriser une cohabitation pacifique. Cependant, en l’état actuel des choses, les groupes sociaux restent éloignés malgré les progrès des moyens de circulation et de communication, ou même la traduction instantanée à travers les plateformes digitales. L’apparition des minorités témoigne d’un malaise du voisinage culturel et d’un tissu social mondial émaillé par la violence. Pourtant, il y a des institutions formelles qui étaient censées réguler les activités économiques à l’échelle internationale. Par exemple, après la catastrophe du Rana Plaza, la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre a été votée (loi n° 2017-399) en France, en 2017. Mais elle ne présente pas un caractère contraignant à cause des longues chaînes d’intermédiaires qui caractérisent la supply chain. En outre, certains dispositifs comme la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE) montrent également leurs limites. Si l’objectif n’est toujours pas atteint, il est cependant possible de changer les habitudes pour infléchir l’action des agents économiques. Il y a des habitudes de consommation qui sont une menace pour les sociétés qui produisent les marchandises, de même que certains objets s’opposent aux valeurs partagées au sein des communautés où elles sont introduites. Cela peut générer des chocs qui rendent la vie moins désirable pour les sociétés contemporaines. Pour en sortir, la marchandise doit au moins répondre, dans sa trajectoire, à des normes qui pacifient la vie sociale. Il est alors pertinent de défendre une éthique de la marchandise dans le contexte de mondialisation.

Du reste, c’est un point de vue partagé par de nombreux acteurs du commerce international. C’est pourquoi l’on assiste de plus en plus, d’une part, à l’émergence de labels incarnant un certain idéal de marchandises (ethiquable, bio, label rouge, etc.) ou des idéaux comme la consommation responsable ; d’autre part, il y a des mouvements collectifs transnationaux pour la régulation internationale des marchés. D’un côté, il y a l’affirmation de politiques internationales de la valeur qui ne peuvent être contrôlées à cause du caractère mouvant de la marchandise ; de l’autre, l’absence d’une autorité mondiale empêche une mise en œuvre réelle de normes et freine toute perspective de poursuites judiciaires contre les entreprises donneuses d’ordre. L’essai précédent sur une théorie sociale de la mondialisation a montré que l’externalisation de la violence en est la logique interne. Si cette théorie peut servir à façonner une norme éthique pour encadrer les pratiques et les institutions liées à la marchandise, celle-ci exigerait, au moins, que les institutions corrélées à la marchandise gardent une certaine distance par rapport aux groupes sociaux. La neutralité sociale semble être la norme qui peut en découler dans la mesure où l’action économique internationale peut rester extérieure ou étrangère au sein des sociétés. À l’instar de la neutralité carbone qui permet, par exemple, de vérifier les critères de pollution environnementale dans une chaîne de production, la neutralité sociale de la marchandise permettrait de s’assurer qu’une marchandise, dans sa trajectoire, n’affectera pas les institutions et les symboliques qui existent déjà dans les sociétés de production et de destination ou précipiter leurs mutations ; elle doit normer aussi les conditions de circulation des marchandises.

L’éthique est, avant tout, une norme particulière qui encadre des pratiques dans une communauté. En participant à la vie ordinaire, chaque personne alimente ces flux qui entretiennent la violence (Quet 13). Le recours aux normes éthiques est devenu une forme d’action politique, la politique entendue comme la capacité d’agir collectivement. L’inefficacité des actions politiques, au sens de l’exercice du pouvoir d’État, que l’on a observée dans le cas du Rana Plaza, doit susciter d’autres formes de mobilisations. Les marches pour le climat et les luttes pour le bien-être animal montrent, en exemple, qu’en dehors du pouvoir d’État, les femmes et les hommes peuvent influencer leur environnement social. Dans cette optique, une éthique de la marchandise pourrait être apte à transformer la structure des relations commerciales internationales. Il y a sans doute des actions en cours comme les réseaux de troc internationaux qui visent à promouvoir des modes d’échange alternatifs à la globalisation. La force de l’éthique réside dans le fait qu’elle ne requiert aucune autorité ; elle nécessite une communauté d’adhérents pour faire pression sur les agents économiques que sont, en premier lieu, les multinationales et les institutions financières. La neutralité sociale est une norme impartiale et, en ce sens, elle pourrait s’appliquer en n’importe quelle circonstance et mieux contenir la violence. Elle permet de repenser les modes de production dans les espaces sociaux, tout comme les habitudes de consommation – vectrices des crises actuelles – et la circulation des marchandises.

Sur le plan de la production, il faut souligner que la façon dont les objets sont produits contribue à leur marquage comme marchandises. Les systèmes de production sont pluriels de la même manière que les économies8. La production des objets marchands participe à l’expression des significations culturelles qui, en retour, sont perpétuées par ceux-ci. C’est tout ce système qui participe à la stabilité d’une collectivité en régulant les pratiques. Dans le contexte actuel, de nombreuses entreprises donnent des ordres de production hors des milieux sociaux où elles opèrent : elles conçoivent des objets marchands qui sont produits hors des lieux où ils seront distribués et consommés. En d’autres termes, il n’y a plus de frontières culturelles entre les collectivités. Cette disposition a conduit à la destruction des savoirs et des savoir-faire que possèdent les collectivités mais aussi à la destruction de leurs systèmes de représentation symbolique. Cela ne peut que générer de la confusion et des formes de violence. La neutralité sociale, dans ce contexte, exige la nécessité pour les multinationales et les investisseurs étrangers de céder le contrôle de la production, dans les pays où elles investissent, aux acteurs locaux qui pourraient décider des politiques des produits. Cela conduirait, par ricochet, à la limitation des transferts de matières premières et produits bruts dont le transport suscite une grande masse de pollution. La mutualisation des technologies et des ressources à travers des alliances régionales pourrait être une alternative pour permettre à chaque société d’aboutir à une certaine autonomie. En outre, chez les pays importateurs de matières premières, la production locale nécessaire s’estompe généralement et fait place à la précarité. Limiter, voire cesser l’importation de tels produits conduirait à valoriser les productions et les cultures locales et réduirait la dépendance des groupes sociaux. La marchandise reste dans le projet culturel et sa circulation peut participer à un projet d’interculturalité.

Ensuite, pour la circulation et l’échange des marchandises, la neutralité sociale de la marchandise impose de nouvelles pratiques en matière de transfert des biens marchands. En effet, les objets marchands, dans la circulation actuelle, sont dépouillés de leurs symboles, y compris les savoirs qui les entourent. Le manuel d’utilisation et le mode d’emploi, par exemple, sont apparus pour pallier ce manque. Dans la structure des échanges actuels avec la supply chain, les chaînes sont très longues et faites de nombreux intermédiaires. La neutralité sociale peut normer les conditions de transport et de vente des objets. L’une des conséquences que l’on peut en tirer est que les marchandises doivent circuler avec les personnes qui les produisent. Et par cette même voie, on pourrait arriver au développement des circuits courts, aujourd’hui promus comme une solution face à la crise environnementale. Il ne s’agit pas de défendre la généralisation des guildes ou des caravanes mais une nouvelle conception de la circulation des marchandises, beaucoup plus soutenable pour notre monde en crise. Cela réduirait la dépendance des pays entre eux, ralentirait également la sortie des devises qui ont, parfois, un impact macroéconomique très négatif. C’est une expression manifeste du fait que l’échange n’est plus une prédation de l’autre.

Enfin, la consommation devient plus responsable et peu subversive pour les cultures locales car elles s’approprient à la fois le contexte de production et les symboliques que peuvent véhiculer les produits marchands. En effet, de la mode à l’alimentaire en passant par les produits de luxe, la consommation des marchandises venant de chez les « autres » bouleverse parfois l’ordre social. Cela a été observé dans de nombreuses sociétés. C’est le cas du khat en Somalie étudié par Lee Cassanelli dans l’ouvrage collectif édité sous la direction d’Arjun Appadurai : de produit à usage médicinal, il devient un moyen d’affirmation de la virilité (Appadurai 2020). Dans la perspective de la neutralité sociale, la consommation serait une rencontre de l’autre et elle ne saurait être une habitude. Le succès du sushi est aussi celui de la réception de la culture japonaise. La neutralité sociale peut constituer un nouvel élan pour l’engagement politique en tant que forme directe d’action politique9.

En somme, la neutralité sociale comme fondement d’une éthique de la marchandise peut induire de nouvelles pratiques : sur le plan de la production, elle oblige les multinationales et les investisseurs étrangers à céder le contrôle social de la production et à une limitation des biens importés pour favoriser une production locale ; sur le plan de la circulation, elle nécessite de repenser le transport des marchandises qui iraient désormais avec les personnes et une vente plus rapprochée avec moins d’agents intermédiaires ; elle fait désormais de la consommation des biens étrangers un évènement dans la vie sociale. Ces arguments peuvent paraître prétentieux pour la situation actuelle du monde avec les contraintes qu’elle impose. Néanmoins, il convient de rappeler les leçons de la crise sanitaire et d’anticiper sur celles que pourrait apporter, à nouveau, une catastrophe climatique. Se référer au mouvement intellectuel de la décroissance peut être pertinent pour sortir de ce modèle représentatif des relations économiques en termes de balance et de croissance, puisque toute croissance n’est plus que temporaire. Dans une mondialisation réussie, la marchandise doit permettre de tenir, à la lisière de la société, la violence qui la délite.

4. Conclusion

Au terme de ce développement, il faut retenir que les pratiques liées à la socialisation des peuples à l’échelle mondiale ont tablé, depuis le XIXe siècle, sur des conceptions d’un monde bipolaire et dichotomique. Ces conceptions ont conduit à une représentation permanente d’un monde en plusieurs zones : le « Nord » et le « Sud » dans une perspective économique ; les espaces de l’« Ouest » et de l’« Est » pour ce qui concerne la vie politique. Le développement des activités commerciales a également contribué à renforcer cette division binaire en unifiant les diverses cultures avec leurs développements techniques et économiques. Cette promiscuité a généré de la violence de part et d’autre. Il en va ainsi parce que les conceptions de la marchandise et de la mondialisation sont erronées. La marchandise a une vie sociale dont on ne peut la priver sans la dénaturer, et la mondialisation tient sa logique interne de l’externalisation de la violence sociale. C’est donc la violence qui unit la mondialisation – capacité des sociétés à agir au-delà de l’espace local – et la marchandise, et cette compréhension peut induire de nouvelles pratiques pour sortir de la violence. C’est pourquoi une éthique de la marchandise fondée sur la neutralité sociale a été défendue. Normer les pratiques liées à la marchandise peut contribuer à réduire la violence car l’objet marchand influence les modes de vie où elle est produite, pollue la planète par sa circulation et subvertit les systèmes culturels dans les lieux où elle est consommée. Elle doit manifester la différence sociale.

Comme le soulignait René Girard, « [l]e monde moderne aspire à l’égalité entre les hommes et il tend instinctivement à voir dans les différences, même si elles n’ont rien à voir avec le statut économique ou social des individus, autant d’obstacles à l’harmonie entre les hommes » (Girard 79). En ce sens, la neutralité sociale peut être le fondement de nouvelles pratiques qui rendent visibles les différences et pacifient la cohabitation. Défendre la neutralité sociale, c’est sortir d’un monde où nous n’allons pas à la rencontre de l’autre malgré son omniprésence dans tout ce qui est consommé au quotidien, pour affirmer cette nécessité de compréhension de l’autre.

Bibliographie

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Notes

1 Cf. « Mondialisation », dans GHORRA-ROBIN Cynthia (dir.), Dictionnaire critique de la mondialisation, Paris, Armand Colin, 2012 et Rocher Guy, « La mondialisation : un phénomène pluriel », Mercure Daniel (dir.), Une société-monde ? Les dynamiques sociales de la mondialisation, Laval – Bruxelles, PUL - De Boeck, 2001. Il en va de même pour la langue allemande où les termes Weltgesellschaft et Globalisierung renvoient à la distinction française (Cf. Manfred Prisching, « Globalismus und Weltgesellschaft », Bemerburg Ivonne, Niederbacher Arne (Hrg.), Die Globalisierung und ihre Kritik(er) : Zum Stand der aktuellen Globalisierungsdebatte, Wiesbaden, VS, 2007). Cependant, dans la langue anglaise, cette distinction sémantique n’existe pas clairement. Toutefois, certaines approches suggèrent le terme World Society pour se démarquer de Globalization. (Voir HOLZER Boris, KATSNER Fatima, WERRON Tobias (eds.), From Globalization to World Society: Neo-Institutional and Systems-Theoretical Perspectives, New York & Londres: Routledge, 2016). Retour au texte

2 En 2007, David GRAEBER publiait un chapitre intitulé « There never was a West : or, Democracy Emerges from the Spaces in Between » dans son ouvrage Possibilities : Essays on Hierarchy, Rebellion, and Desire, Edimbourg : AK Press, 2007, où il battait en brèche l’origine occidentale des idéaux défendus durant les Lumières. Cette idée a été reprise et documentée dans son dernier ouvrage posthume publié avec l’archéologue David WENGROW sous le titre Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Paris, Les Liens qui Libèrent, 2021. Retour au texte

3 C’est un concept utilisé par Mathias DELORI pour qualifier la guerre qui prétend mettre fin à l’oppression de certains peuples. Voir Ce que vaut une vie. Théorie de la violence libérale, Paris : Amsterdam éditions, 2021. Retour au texte

4 On trouve également chez Marshall SAHLINS l’idée selon laquelle il y avait, en Occident, une certaine conception de la nature humaine, cupide et violente, qui a déterminé le débat politique. Voir La nature humaine, une illusion occidentale, Paris, Éditions de l’éclat, 2009. Retour au texte

5 Les Lois de Platon et la Politique d’Aristote sont particulièrement éclairantes pour approfondir ce sujet. Retour au texte

6 Il y a eu des évolutions dans la pensée d’Axel HONNETH, mais les lignes de force restent contenues dans La lutte pour la reconnaissance, Paris : Cerf, 2000. Retour au texte

7 On retrouve également cette idée sous une formulation plus célèbre chez Montesquieu, dans De l’esprit des lois ; cependant, nous nous limiterons aux conclusions de notre développement. Retour au texte

8 Voir Jean-Louis LAVILLE, « Avec Mauss et Polanyi, vers une théorie de l'économie plurielle », Revue du MAUSS, vol. n° 21 (2003), pp. 237-249 ; DOI : 10.3917/rdm.021.0237. Retour au texte

9 On peut interpréter les revendications éthiques à partir de la théorie de l’action directe élaborée par David Graeber, initiateur du mouvement Occupy Wall Street. Cette action a inspiré bien d’autres mouvements contestataires internationaux fondés sur la défense de principes éthiques. Cf. Direct Action : An Ethnography, Edimbourg, AK Press, 2009. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Adolphe Badiel, « Au-delà de la binarité Nord-Sud : la neutralité sociale comme éthique de la marchandise dans la mondialisation », Cahiers du CRINI [En ligne], 4 | 2023, mis en ligne le 21 juillet 2023, consulté le 03 décembre 2025. URL : https://cahiers-du-crini.pergola-publications.fr/index.php?id=207

Auteur

Adolphe Badiel

est doctorant en anthropologie à l’université de Strasbourg depuis octobre 2020. Ses travaux de recherches portent sur la mondialisation, l’avenir du travail et ses cultures, et les débats autour des monnaies et finances alternatives. En 2021, il a bénéficié d’une bourse doctorale du Centre Marc Bloch à Berlin pour le développement de ces travaux. Ses terrains de recherches sont les marchés « informels » en Afrique subsaharienne et les économies sociale et solidaire en France.

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